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Objectif Cinéma : Laquelle ?

Robert Guédiguian : Je l'ai viré ! (rire) Bon, j'avais écrit une séquence sur cette ville, le soir, où on voyait un panneau qui nous amenait en dessous. Dès le départ, je voulais montrer cela, le point de vue d'en bas et le point de vue d'en haut. Vous le retrouvez dans le film avec le monde des terrasses et le monde d'en dessous. C'est un film sur le point de vue : "La ville est tranquille " est en apparence tranquille et je me demande ce qui grouille en dessous, qu'est-ce qui menace cette tranquillité-là ? Evidemment, j'en viens à me poser des questions sur la démocratie, sur le monde dans lequel je vis, ce qui me fait peur, ce qui m'effraie. Le film naît de là et je peux commencer à écrire avec Milesi (Jean-Louis Milesi co-scénariste des films du cinéaste). Si j'exagère, je peux dire que le film est fini, car après il me suffit de le raconter, ce sont certes de longs mois de travail. L'idée du film existe, après on fabrique le scénario, on va imaginer des croisements sur le lieu commun de la Ville, de tous ces personnages qui se croisent. Et tout fait scénario, car on sait où l'on va, alors ce que je vois dans la rue, lis dans la presse, ressens dans ma vie, fait travail. C'est aussi ce que me raconte mon voisin, une histoire entendue, un fait divers. Tout fait ventre et ce processus de travail est indescriptible. Evidemment, je vous raconte cela aujourd'hui de manière assez objective, mais bien entendue la subjectivité est partout lorsque je décide que je ne veux pas telle chose, que "machin" soit brun ou blond même si c'est aléatoire. Vous avez raison lorsque vous remarquez une rupture de ton avec ce film, car on n'est pas habitué à cela chez moi. On oublie mes autres films tout aussi noirs comme "Dieu vomit les tièdes" ou "A la vie, A la mort" avec lesquels j'ai commencé à être connu du grand public. Sans vouloir faire d'autopsychanalyse sauvage, je dirais que j'ai ces deux tendances et ce depuis toujours. Je ne saurais pas exactement les qualifier : une existentielle " lourde " romantique issue de ma mère allemande, de mon père, homme du Sud, quelque chose de plus lumineux - alors même que le Sud est lié avec la tragédie. J'aime la comédia dell arte mais aussi la tragédie, j'adore rire au spectacle et être bouleversé.


Objectif Cinéma (c) D.R.

Objectif Cinéma : La misère sociale est liée à la misère sexuelle par une circulation des fluides. L'argent de la prime de licenciement de Paul (Jean-Paul Daroussin) lui sert à payer son taxi, dans lequel il embarque les putes pour une " émission " apaisante. Michèle (Ariane Ascaride) pour pouvoir donner le lait à sa petite-fille et la drogue à sa fille, elle-même payant sa poudre en monnayant des passes sexuelles, se broie le corps à la criée de poisson chaque matin. Le lait, comme la drogue et le sperme, sont trois fluides blancs qui se payent très cher. Le corps n'est plus le lieu de la rencontre mais de la brisure.

Robert Guédiguian : Cela vient de l'isolement, engendré par une perte de la communauté. De là, vous avez la perte du sens et du projet. Vous trouvez non plus le sens mais l'animalité, le corps bas, le moins social. Les personnages sont liés par cette solitude extrême. Ils agissent tous tout seul, sous aucune bannière idéologique, politique ou religieuse. Ils n'ont pas de modèles auquel se raccrocher, y compris ceux qui agissent sous une "certaine morale".