A un moment donné, en 1992,
au moment où démarre cette histoire de conte
("les Contes de l'Estaque"), jai eu quelque chose
de réactif, j'étais agacé par la fin
de toute action politique et par le constat navrant et permanent
du monde cinéma et de la télévision
sur les mondes populaires, qu'ils soient chômeurs,
ouvriers, employés de banlieue, paysans, enfin, les
" pauvres " comme ils disent, avec tout le cortège
de misère (vol, chômage, sida) Ce discours
était tenu par des intellectuels dont font partie
les cinéastes. Alors pour mon film " L'argent
fait le bonheur " (1992), un curé fait cette
énumération très drôle où
il cite ces maux/mots de la société. Il déblatère
à la Prévert. On peut parler différemment
de cela non ? Et " putaing merde " il n'y a pas
que cela dans toutes les cités de France où
il y des gestes magnifiques qui relèvent de la plus
grande noblesse de l'humanité. Tiens, si on faisait
l'inverse, un truc où tout fonctionne à l'envers,
avec ce curé qui fout tout en l'air et qui se marie
à la fin. Un truc pour rigoler, de l'agit'prop',
agiter les choses, soyons didactiques et allons-y ! D'ailleurs,
c'est ensuite que j'ai nommé ces films des contes,
et non avant, au moment de l'écriture.
Objectif Cinéma :
Seriez-vous l'équivalent,
certes opposé, de Rohmer dans le cinéma, aussi
bien dans ce rapport au conte, plus janséniste/pascalien
pour Rohmer et plus ensoleillé chez vous, qu'à
une certaine économie de production singulière
à l'intérieur du cinéma français
?
Robert Guédiguian :
C'est quelqu'un que j'admire, notamment
pour sa cohérence économique. Bon, il faut
dire que je suis plus métissé que lui, ne
serait-ce que par mon accent ! C'est un bel exemple de vie
de cinéaste, il ne fait pas des films, il fait du
cinéma. Il a mis en place une manière de travailler
cohérente et dynamique. Le rapport qu'il a construit
avec le public et les moyens qu'il met en uvre pour
faire ses films est un accord parfait. Rohmer est un cinéaste
économiquement rentable depuis toujours. Je le dis
solennellement, c'est la clé de vie de tout cinéaste,
pouvoir être son producteur pour faire du cinéma.
Objectif Cinéma :
Comment fonctionnez-vous avec vos
films ? Avez-vous déjà perdu de l'argent sur
vos films ?
Robert Guédiguian :
Non et je n'en ai jamais perdu sur
aucun de mes films. J'ai fait des films par exemple comme
" Ki lo sa ? " en 1985 réalisé avec
320 000 francs, qui ont fait zéro francs mais qui
ont coûté zéro francs. Et 320 000 francs
quand on fait du cinéma, ce n'est rien. Pour "Dieu
vomit les tièdes", c'était un million
deux.
Objectif Cinéma :
Vous aviez un projet, "Parole d'Evangile" au moment
de "Dieu vomit les tièdes" que vous avez
abandonné. "La ville est tranquille" se
situe-t-il dans cette filiation ?
Robert Guédiguian :
Je n'ai jamais fait ce film, alors que j'aimais beaucoup
le scénario, qui a d'ailleurs "cartonné
" car j'ai reçu de l'argent pour le faire. Actuellement,
je serais incapable de le réaliser. Cela racontait
un bestiaire horrible sous le signe d'une farce. Si je traite
les thèmes de la "Ville... " avec "
A l'Attaque", film que je tournais en même temps,
je reviens à ma schizophrénie, cela donnerait
"Paroles d'Evangile". "La ville est tranquille"
est un film non naturaliste qui ne repose pas sur le schéma
du conte comme pour mes autres films. On ne travaille plus
sur l'illusion, non plus sur le naturalisme, même
si le fait " naturel " semble plus présent.