Objectif Cinéma :
On retrouve là votre personnage.
Emmanuel Mouret : Oui,
les personnages de candide. La naïveté, c'est
ce qui me permet de recevoir le monde, et de le redécouvrir.
Et s'il n'y a pas cette posture, de pousser les méfiances
de côté, il n'y a pas d'autres façons
de recevoir le monde à nouveau et de le renouveler.
La philosophie part de cette constatation.
Objectif Cinéma :
Philosopher, c'est s'étonner.
Emmanuel Mouret :
Oui, l'étonnement en réaction
à l'affectation, le maniérisme, qui est la
décadence de l'art.
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Objectif Cinéma :
Vous assumez un parti pris "
futile " - sans que ce soit péjoratif - au milieu
d'un jeune cinéma français qui a une tendance
assez sociale, presque désenchantée ?
Emmanuel Mouret :
Je préfère dire "
un ton très léger ". Il y a une volonté
de paraître désinvolte. C'est une question
de posture. Dans l'histoire des arts, Il n'y a pas de vérité,
il n'y a pas l'uvre parfaite, le chef-d'uvre
absolu, et je pense que faire quelque chose c'est participer
à une histoire, tout simplement, et c'est une question
de posture, mot que j'aime bien, emprunté à
Jean Dubuffet, c'est-à-dire qu'une uvre se
fait dans une relation aux uvres existant déjà,
aux codes des spectateurs, c'est une relation avec ses codes-là
dans une nouvelle position. Je trouve de trop bon ton de
faire des comédies présentées aussi
sérieuses que divertissantes. Le cinéma, et
la critique de cinéma sont trop enferrés dans
de vieux systèmes de pensées. On juge encore
une uvre pratiquement uniquement sur son message,
à son thème, son propos. C'est comme en peinture,
si on jugeait un tableau représentant un bouquet
de fleurs en ces termes : " Ecoutez, un bouquet
de fleurs ça n'intéresse personne. Il faut
peindre des gens qui sont dans la difficulté, ou
des héros. " L'intelligence et l'élégance
dans une uvre, elle est dans sa façon, dans
sa forme, dans sa posture, dans son attitude. J'ai donc
choisi la cocasserie, accompagnée d'une vraie sincérité
pour mon film, avec une fin équivoque où on
se demande si toute vérité est bonne à
dire.
Objectif Cinéma :
Et la peinture ?
Emmanuel Mouret :
C'est une grande source d'inspiration,
et l'une de mes plus grandes sources de réflexion.
Déjà parce qu'on a à portée
de main toute son histoire. Je suis fasciné par les
récits de peintres, du XVIIIème siècle
jusqu'à la fin de la guerre. Cézanne, Picasso,
Matisse, Dubuffet m'apportent beaucoup. Cette période
est si riche dans un temps de bouleversement, de prise de
constitution, de liberté, j'aurais du mal à
en parler en général. C'est toujours une question
de posture. Alors qu'au cinéma, le travail est souvent
trop apprécié pour sa sueur, toute la débauche
de moyens, d'effets spéciaux, et la critique juge
souvent ainsi. Pour moi, une expression artistique, c'est
tout le contraire : je préfère voir une danseuse
qui danse bien dans le sens où c'est facile, c'est
magique, c'est merveilleux pour elle. C'est pas celle que
je vois faire des trucs très compliqués, que
je vois transpirer pour l'un des mouvements qu'elle fait.
J'aime l'aspect accessible. Parfois ce sont les choses les
plus simples qui sont les plus belles, même chez Mozart
ou Beethoven. Et c'est la provocation de Matisse qui m'a
beaucoup plu, pour revenir à la peinture.