Objectif Cinéma :
Revenons à Laissons Lucie
faire et sa fameuse théorie amoureuse : attirance
(a) + amitié (A) = amour.
Emmanuel Mouret :
Ce n'est pas une grande théorie,
elle m'a été inspiré par des magazines
féminins, ou de psychologie vulgarisatrice, qui permet
de se poser de vraies questions, de s'engager à des
questions entières. En tout cas, je ne trouve pas
ça bête. Mon intérêt sur ce genre
de questions est sincère, mais avec la distance qui
convient quand on impose toute théorie.
Objectif Cinéma :
On parlait d'une simplicité
placée entre Rohmer et Bresson.
Emmanuel Mouret :
Oui, et pour moi Rohmer est celui
qui a suivi la voie des derniers Renoir. Mon lien avec la
peinture, c'est les films de Renoir.
Objectif Cinéma :
La nature est importante dans vos
références.
Emmanuel Mouret :
Je pense que ces influences sont
dues à la peinture, il y a eu de grandes révolutions
autour. La nature ici m'intéresse plutôt dans
le concept de nature naturante, de nature en soi, j'aime
l'idée qu'un film puisse trouver sa propre nature.
C'est cette idée que la pensée elle-même
est nature. Il y a peut-être une essence à
laquelle se raccrocher dans ce siècle où Dieu
est mort, c'est lié aussi à l'idée
que je me fais d'une uvre, qu'une uvre puisse
aussi s'alimenter d'elle-même, qu'un film propose
ses propres éléments pour se nourrir lui-même
en fait. Un des moteurs de mon scénario, c'est les
idées des personnages, et leur confrontation. L'aspect
de nature n'est pas dans ce qui est filmé, mais dans
ce principe que les pensées viennent aux personnages,
et que l'origine des pensées est liée à
la nature, et non pas liée à une pure volonté,
à une pure interdépendance relationnelle.
Davantage dans la fraîcheur, dans une idée
d'apparition. Cet aspect est lié au jeu, au ton,
et ce qu'il me plairait de développer, cette idée
de nature dans la pensée. L'idée de nature,
c'est une image qui vous inspire, et une image qu'on recrée.
Faire un film, c'est refaire le monde. Les uvres d'art
dessinent le monde, et c'est à nous artistes de penser
ce qu'est le rapport entre les hommes. C'est pour ça
que mes personnages se parlent de façon courtoise,
sans se taper sur la figure automatiquement. Chaque uvre
doit nous faire redécouvrir ce qu'est la nature.
Et la retrouver, c'est aussi la recréer. Mais en
la recréant nous-mêmes, en étant une
création de la nature. Il y a une sorte de jeu paradoxal
qui se joue. Les peintres qui sont partis dans le sud pour
peindre la Méditerranée, au début du
siècle grâce aux chemins de fer, ont inventé
le concept de mer, de plage, où toute l'économie
s'est greffée ensuite. C'est une invention de ses
peintres, ce sont eux qui ont ramené les sensations,
et je trouve ça merveilleux de le voir avec cette
distance-là.
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Objectif Cinéma :
Vous avez parlé d'une distance
vis-à-vis de la sensation pure, elle est presque
manifeste dans le fait d'appeler votre film un " divertissement
sentimental ", c'est la création d'un genre
hybride ?
Emmanuel Mouret :
Je pense qu'on fait du cinéma
pour faire le pari de voir où notre idée va
nous mener. Quand on commence une toile ou un roman, c'est
pareil, on ne sait jamais vraiment où cela va nous
mener. Il fallait confronter cette histoire et son parti
pris dans le ton de la cocasserie avec un décor "
naturel ". En revanche, par rapport à la sensation
pure, première, je ne crois pas qu'il y en ait. Les
sensations sont toujours conjoncturelles, codées,
notamment par les uvres qu'on a vues, même nos
émotions amoureuses font appel à une culture
de ce qu'est l'amour, tomber amoureux. Il est intéressant
de jouer avec les codes avec l'envie d'aller voir plus loin
en sachant qu'il y a un vide derrière tout ça.
L'histoire de l'art, en tout domaine, c'est une tentative
de redécouvrir le monde et ses sensations. Parce
que le culture nous amène au monde et nous limite
par-là même avec ses codages, et l'homme possède
ces repères tout en désirant les dépasser.