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Objectif Cinéma :
Vous avez parlé, à
propos de votre cinéma, d'une mise à distance
de la sensation pure. Cette démarcation est présente
dans le fait de définir Laissons Lucie faire
comme un " divertissement sentimental ", ou d'y
utiliser les effets spéciaux...
Emmanuel Mouret :
Dès le départ, il y
a un film qui ne dispose pas de moyens énormes et
qui base son scénario sur une esthétique de
reconstruction de décors. Le pari résidait
dans le fait de le transposer dans un décor de proximité.
On ne sait jamais vers quoi on se dirige en commençant
à écrire. L'idée, c'était de
confronter cette histoire d'une cocasserie un peu extrême
à un décor naturel. Je ne crois pas qu'il
y ait de sensations pures, premières. Elles sont
toujours conjoncturelles. Même nos émotions
amoureuses font appel à la culture des gens. On ne
tombe pas amoureux partout pareil... Le cinéma, comme
toute création, c'est le jeu de ces codes établis
avec l'envie d'aller voir plus loin, le vide qui se cache
derrière. Toute l'Histoire de l'Art est faite de
ces tentatives de redécouvrir le monde. Si la culture
dépend du codage, elle ménage un besoin de
liberté. Elle nous amène au monde et nous
limite simultanément : c'est le propre de l'homme
d'avoir des repères afin de les dépasser.
La sensation pure, pour moi, est une utopie.
Objectif Cinéma :
Comment vous situez-vous, jeune
cinéaste que vous êtes, par rapport à
l'explosion de l'image numérique ?
Emmanuel Mouret :
Je ne connais pas trop ces nouveaux
progrès. Le DV est quelque chose de formidable car
il permet à tout le monde de faire des films. C'est
une révolution comme peuvent l'être les peintures
préparées où l'on n'a plus qu'à
remplir les cases avec la couleur correspondant au chiffre
pour voir apparaître une toile... Cela risque de créer
deux cinémas, où les petits budgets rapetisseront
encore, et les gros budgets iront vers encore plus de moyens.
Je me pose quelques questions sur cet aspect économique.
Sur un plan plus technique, je trouve que la définition
sur les plans larges est médiocre, et j'attends encore
plus de ces technologies. En tout cas, j'aimerais que ça
entraîne une nouvelle liberté en cinéma,
une nouvelle image, des nouvelles perspectives. Je n'aurais
pas aimé, en revanche, tourner pour la collection
" Petites caméras " initiée par
Arte, parce que j'aime que les choses soient posées.
La caméra portée, dans mon univers mental,
donne une esthétique datée, un peu vieillotte,
parce que j'ai aimé beaucoup de films anciens faits
comme ça. Actuellement, il y a cette utilisation
des corps, ce côté charnel qui me fatigue un
peu. Mais s'il y avait eu la commande, j'y aurais sûrement
réfléchi...