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Richard Copans (c) D.R.
Objectif Cinéma : Parlez-nous des comédiens...

Richard Copans : Ils sont le fruit de rencontres de Robert. Il s'est installé dans le Nord pour donner 90 heures d'enseignement dans une école d'art [l'école du Fresnoy, NDLR] de Tourcoing. N'importe qui aurait gardé une vie parisienne et aurait arrangé son emploi du temps : Tourcoing n'est qu'à une heure de TGV de la capitale... Robert a vécu ça comme une chance et s'est immergé dans un nouvel univers. Cette école est enclavée comme une forteresse dans un quartier pourri. Robert a pris son vélo et a traversé la barrière virtuelle. Il a rencontré Ben et a sympathisé, ils ont bu des coups ensemble, joué aux cartes, puis le cercle s'est élargi...jusqu'à ce qu'ils se retrouvent dans un film. Bernard est le seul acteur que nous ayons cherché après écriture du scénario : il fallait un aveugle d'un certain âge, de la région, capable et volontaire pour jouer dans un film. Puis nous avons cherché l'iguane...(rires). Ce n'était vraiment pas du repérage, mais de la curiosité. Cela devient ensuite du cinéma, mais c'est dans cet ordre-là que ça se déroule. Aucun de ces personnages n'est un acteur. Pourtant, ils font un véritable travail d'acteurs. Le cinéma est pour eux quelque chose de très loin. Ben vient d'un foyer de jeunes travailleurs de Tourcoing, et il est encore plus hystérique dans la vie que dans le film. La question n'est même pas de parler de comédiens amateurs: ce n'est pas leur vraie vie, mais c'est assez proche de ce qu'ils sont. En même temps, ce n'est pas du tout eux, parce que la fiction est inventée de toute pièce. On a parlé de documentaire vériste ! C'est totalement imbécile : ils incarnent un personnage. Le film n'est pas vraiment réaliste, mais absolument construit et schématisé. L'idée, c'est de généraliser le propos. Aucun nom de ville, aucune référence... Les photos que regarde Ben dans le café, c'est un tremblement de terre au Kurdistan. On peut y voir ce qu'on veut: des conflits au Kosovo, en Algérie, en ex-Yougoslavie, en Iran...


Objectif Cinéma : Il y a en revanche un réseau de référents brouillés que distillent les visions d'horreur de Ben aveugle, je pense au mouton égorgé et aux multiples langues qui s'entremêlent...

Richard Copans : Robert a pris le texte de l'Odyssée et l'a traduit en cinq ou six langues différentes. C'est travailler le creuset d'un mythe. Chacun porte en lui l'exil. Ben pourrait être le représentant de tous les immigrés, voir de tous les hommes puisque tout homme porte du mythe en lui. Bien sûr, on est dans un pays riche et on parle de gens qui viennent de pays pauvres pour réussir à cet endroit-là. Ca pourrait être de nombreuses terres, d'accueil comme de départ.


  Richard Copans (c) D.R.

Objectif Cinéma : Et cette dichotomie qui écartèle le film entre deux esthétiques, l'une rudimentaire, et l'autre composée. Le montage à rebours, les temporalités éclatées et les visions cauchemardesques viennent heurter le filmage brut de la vie...

Richard Copans : Ca me paraît un peu artificiel d'en parler comme ça, parce qu'il y a la même maîtrise sur les deux pôles de la dichotomie. Evidemment, les scènes de studio ont une lumière fabriquée et il y a une plus grande maîtrise de la texture de l'image. Mais les scènes de vie sont filmées en plusieurs prises, il y a un scénario et un texte écrit à respecter... Il ne s'agit pas d'une improvisation. Robert a filmé une cinquantaine d'heures de rushes. Ce n'est pas énorme en DV, mais on est loin du dogma. Les scènes de studio ou d'extérieur font preuve d'une même maîtrise de mise en scène, la différence résidant dans la création d'un lieu abstrait, ces images intérieures. Il s'agit d'une même manière de cadrer, d'un même rapport au texte. Une seule caméra tourne, et c'est Robert qui la tient, invariablement depuis Route One-USA. C'est un cadreur extraordinaire : il voit et rend visible des choses.


Objectif Cinéma : L'idée d'intégrer ces écrans noirs dans la scènes d'ouverture, point de vue subjectif d'un aveugle (!) était-elle depuis longtemps dans le scénario ?

Richard Copans : Clairement, c'est inhérent au projet. C'est dire qu'on est aveugle, qu'il faut comprendre en écoutant et que le son raconte autant que l'image. Honnêtement, je pense que Robert en aurait insérer bien plus... On n'a jamais travaillé par rapport à de l'écrit, à des notes d'intention. Ce sont des souvenirs oraux, des discussions qui nous ont orientés. A aucun moment nous ne sommes allés voir dans son ordinateur ce qu'il avait écrit.