Michale Boganim : Quand
j'étais à Odessa, j'ai eu l'impression que
cette ville était figée dans le temps et se
créait une espèce d'auto-fiction temporelle,
vivait uniquement par ça. Du coup, j'ai voulu marquer
le décalage entre la réalité d'aujourd'hui
et le temps " imaginaire " dans lequel les gens
évoluent. Quand vous parlez du hors-champ, c'est
aussi une volonté de parler de l'absence. Le hors-champ
cristallise l'absence, tout ce qui disparaît et qui
n'est plus, mais qui en fait est là, en mémoire.
Le mouvement de caméra représente aussi cela.
Quelque chose qu'on a en mémoire mais qu'on approche
jamais : c'est une fuite du temps.
Objectif Cinéma :
Pour un film qui concourt dans un
festival du documentaire, on s'aperçoit qu'il est
très construit, très fictionnalisé.
J'aimerais que vous me disiez comment vous voyez le rapport
entre le documentaire et la fiction aujourd'hui, et vous,
comment vous positionnez-vous.
Michale Boganim : Je
n'ai jamais vraiment aimé les catégories documentaire
/ fiction et je croie en la phrase de Godard qui dit que
dans tout bon documentaire, il y a une part de fiction,
et que dans toute bonne fiction, il y a une part de documentaire.
Moi, ce qui m'intéresse, ce sont les films qui se
situent sur cette limite. Je pense à Close up
de Kiarostami où on ne sait jamais si on est dans
le réel ou la fiction, c'est un film qui ma beaucoup
marqué. Je ne crois pas du tout à l'objectivité
dans le cinéma, je pense que tout le cinéma
est subjectif, donc faire de la mise en scène en
documentaire ne me pose aucun problème, et c'est
une chose vers laquelle je me dirige. Les histoires réelles
m'intéressent beaucoup mais le réel ne se
suffit pas à lui-même, ça nécessite
un travail derrière et parfois le réel dépasse
la fiction, ce sont des moments à capter quand même.
Je peux citer par exemple le moment où les deux femmes
dansent dans mon film, je ne l'avais pas écrit dans
la structure de départ, et puis cette femme [la comédienne
qui n'avait jamais tourné (?)] a surgi en plein milieu
du tournage et je l'ai complètement intégrée
dans la scène ; ça donne un instant particulier
dans le film, presque surréaliste, et ce n'était
pas du tout calculé.
Objectif Cinéma :
On sent qu'à cet instant,
elle s'approprie vraiment la caméra
Michale Boganim : Au
début la vieille femme dit : " Ils sont venus
de l'étranger pour me filmer et le film va être
montré partout à Odessa et à l'étranger.
" Pour moi la caméra, c'est un catalyseur, elle
permet de donner une existence à ces gens, de les
faire revivre, on a vraiment l'impression qu'ils sont oubliés,
abandonnés, c'était comme des spectres qui
resurgissaient du passé et qui reprenaient existence
par le film.