Objectif Cinéma :Dans
vos films, on a l'impression que vous aimez donner de la beauté
au laid et au sordide. Je pense notamment au cimetière
de voitures dans L'Epouvantail, et aussi à Ponies,
où vous parvenez à rendre le Bronx presque poétique.
Jerry Schatzberg :Je
travaille actuellement sur un projet pour lequel je photographie
des détritus. Depuis quatre ans je photographie également
des femmes nues, du cou aux genoux. J'aimerais beaucoup exposer
ces clichés dans un musée. Ces femmes ont de
vingt à soixante-quinze ans, et elles n'ont pas toutes
un corps parfait, mais je veux montrer que tout corps a une
part de beauté. Il faut savoir trouver le détail,
la bonne lumière. J'ai procédé de cette
manière pour filmer le Bronx.
Objectif Cinéma :Votre film raconte une histoire mais
il a aussi un aspect documentaire. Pensez-vous qu'un film
devrait toujours se situer à mi-chemin entre fiction
et réalité ?
Jerry Schatzberg :Il
n'y a pas de formule magique pour faire un bon film. J'entends
souvent qu'un film de trois heures est trop long, mais pour
moi Le Parrain pourrait durer six heures. Citizen
Kane n'a rien à voir avec la réalité
mais c'est un grand film. Si vous donnez le script de Ponies
à quatre réalisateurs, vous aurez quatre interprétations
différentes.
Objectif Cinéma :Comment
compareriez-vous votre manière de photographier New
York, votre manière de filmer Needle Park et votre
manière de filmer le Bronx ?
Jerry Schatzberg : Pour
moi c'est la même chose. Je fais mes recherches, je
me renseigne. J'aime photographier ce que je vois. L'artificiel
ne m'intéresse pas. Je fais toujours savoir précisément
ce que je veux, et parfois je suis assez dur avec mon équipe.
Dans Ponies, juste après la scène de
l'hôpital, il y a un plan sur des bouteilles. J'ai montré
à mes collaborateurs une photo pour expliquer ce que
j'attendais deux, et malgré cela ils se sont totalement
trompés. Ils ont passé une demi-heure à
le refaire. Pour le bureau de Stoller, ils avaient monté
le décor à l'envers et ils ont dû recommencer.
Il y avait un certain nombre d'éléments auxquels
je tenais, comme la lumière ou la place des fenêtres.
Dans Panique, le responsable des costumes avait dessiné
une veste pour le personnage du dealer. Quand j'ai vu cette
veste, je lui ai dit que les boutons ne me plaisaient pas.
Il les a changés, et même si on ne voit jamais
le personnage, j'étais satisfait parce qu'il y avait
les bons boutons sur la veste.
Objectif Cinéma :Un point commun à beaucoup
de vos films est qu'ils ne finissent jamais vraiment. Pensez-vous
qu'aujourdhui le cinéma laisse trop peu de place à
l'imagination ?
Jerry Schatzberg :Complètement.
Certains réalisateurs dont je ne citerai pas les noms
vous prennent par la main et vous montrent tout. On dirait
qu'ils s'adressent à des enfants de cinq ans. Pour
moi, la seule vraie fin, c'est la mort. Beaucoup de gens pensent
que Ponies s'achève avec la mort de William,
tandis que j'ai tenu à finir sur une note optimiste.