Objectif Cinéma :
On sens que c'est important pour
toi, même si on n'a pas vu Grand Bonheur (rires) (c'est
le running gag de l'interview), de questionner l'idée
de représentation. Dans Reprise, c'était sous
une autre forme...
Hervé Le Roux :
J'ai l'impression qu'aujourd'hui, en tant que spectateur,
on sait tellement bien lire une image, à une telle
vitesse, qu'on n'a plus l'innocence qu'on avait il y a simplement
trente ans. On décrypte l'image à une vitesse
telle (on est élevé là-dedans, on a
des magnétoscopes), le spectateur de base (qui soit
dit en passant n'existe pas) pige, percute immédiatement,
parce que les films vont plus vite, et il s'ennuie lorsqu'il
voit des grands classiques sublimes parce qu'il a deviné
à l'avance ce qui va se passer. On ne peut pas ne
pas tenir compte de ça lorsqu'on fait un film. On
ne peut pas ne pas tenir compte de cette capacité
qu'a le spectateur aujourd'hui d'aller très vite
dans la gestion du récit. C'est un truc qui m'amuse
: arriver encore à le surprendre. C'est aussi ça
le jeu sur l'hétérogénéité.
Objectif Cinéma :
Est-ce tu penses qu'il y a des liens,
des points de ressemblance entre un film comme "On
appelle ça le printemps" et un film comme "La
vérité si je mens ! 2".
Hervé Le Roux : Je
ne l'ai pas vu... Si ! On a le même ingénieur
du son (rires). Je n'arrive pas à voir les films
lorsque j'en fais un moi-même. À partir de
juin, je vais rattraper tout cela.
Objectif Cinéma :
Certaines scènes rappellent
la BD, avec son " comique de case ". Ce sont des
scènes presque abstraites, de pure comédie.
Hervé Le Roux : Il
y a effectivement un truc de déréalisation
dans le film. La moitié des comédiens qui
sont dans le film était déjà dans "Grand
Bonheur", et il y a un jeu très affirmé
qui est de les faire revenir. La chanson, au début
du film, est une private joke puisque ce sont les trois
personnages masculins principaux de "Grand Bonheur".
C'est vrai que, plus largement, par exemple dans les scènes
de petit-déjeuner chez Claude, il y a des moments
ou les personnages deviennent un peu des fantômes,
habités par des idées, y compris des idées
de vengeance. C'est quelque chose que j'imaginais dans le
jeu entre les deux films mais pas à ce point sur
ce film-là. Les personnages deviennent abstraits.
C'est, par exemple, quelque chose dont on se rend encore
plus compte au montage son. On voulait mettre des petites
ambiances de cour lors de ces scènes, des petits
oiseaux, des enfants qui jouent, une radio, et ça
ne rentrait pas du tout. Dès qu'on amenait de l'extérieur,
ça devenait complètement obscène, ces
petit déjeuners tellement flottants qu'on ne pouvait
pas mettre du réel dessus. Au contraire, on s'est
autorisé à rajouter des bruitages sur les
ongles de Fanfan par exemple, à déréaliser
beaucoup plus.