Objectif Cinéma : Qu'est-ce
qui gênait selon vous les investisseurs dans ce scénario
?
René Féret :
Il faut dire déjà que
le livre décrit toute l'agonie de la vieille. On
l'avait gardé dans les premières versions
du scénario. Au moment où s'arrête aujourd'hui
le film, il restait vingt ou trente minutes pendant lesquelles
Isabelle l'emmenait chez elle et l'accompagnait jusqu'à
la mort et au-delà. Je me suis aperçu après
que ce n'était pas nécessaire d'appuyer trop
sur la mort car on la pressent, on l'imagine d'autant plus
en faisant l'économie de ces moments traumatisants.
Cela dit, tout le monde nous disait que cela n'intéresserait
personne sinon les vieux. Il s'agit quand même d'un
film marginal, un peu difficile d'accès. En même
temps, des spectateurs l'apprécient beaucoup. Le
film touche les gens mais ne va pas pour autant "casser
la baraque".
Objectif Cinéma :
Il y a eu 17 versions du scénario
? Qu'avez-vous modifié au cours du temps ?
René Féret : C'est
tout le problème des romans forts. Ils "étouffent".
Le roman est beaucoup plus axé sur le personnage
de la femme plus jeune, journaliste d'un magazine féminin.
Tout son environnement professionnel tient une place énorme
dans le livre. C'est le côté un peu féministe
de l'époque de Doris Lessing qui a été
lourd à gérer. Cela reste une faiblesse du
scénario : on a eu du mal à trouver au personnage
d'Isabelle une identité professionnelle moins "vieillotte".
C'est le regard de la jeune sur la vieille qui est l'aspect
le plus vivant de l'histoire. La jeune permet de faire revivre
la vieille par son regard. On n'a donc pas besoin de voir
la vie de la jeune dans les moindres détails, ni
l'aspect un peu démonstratif de Lessing (le fait
que la jeune change sa vie et commence à avoir un
autre regard sur son environnement).
Marion Held arrive, boule d'énergie
souriante, un casque de moto à la main...
Objectif Cinéma :
La dernière scène
est magnifique, c'est la libération d'une émotion
contenue et jamais exprimée par les personnages dans
le reste du film...
René Féret : La
vieille pleure l'amitié qu'elle va perdre en mourant,
plus que sa mort elle-même. Ce n'était pas
prévu qu'elle pleure. On avait juste marqué
dans le scénario qu'elle avait les larmes aux yeux.
Dominique Marcas était très chargée
émotionnellement, comme nous tous, parce que c'était
les deux derniers jours de tournage. Elle s'est dit "si
j'ai les larmes aux yeux, je vais être mauvaise..."
et finalement elle a craqué. On a alors laissé
tourner la caméra et Marion a eu heureusement l'instinct
de la laisser et de ne pas dire "qu'est-ce qu'elle
a ?"... C'est une fin inattendue qui permettait aussi
d'éviter de filmer l'agonie du personnage.