Objectif Cinéma :
Ce qui est intéressant dans
la démarche créative de ce film, c'est l'adéquation
entre la forme et le sujet, entre la fragilité économique
revendiquée du film et la fragilité économique
de l'entreprise des frères Polonsky. Es-tu d'accord
?
Raphaël Nadjari : Je
n'y avais pas pensé. C'est très intéressant
comme idée. C'est vrai qu'à un moment donné
on avait plus beaucoup de dollars sur le plateau, et on
tapait les copains : " t'as pas 1000 dollars ? 500
doll ? 300 doll ". On était dans un rapport
économique similaire parce qu'on rêvait d'un
truc, on était transporté par quelque chose
et comme Abe, on demandait des ronds à tout le monde.
C'était une petite entreprise familiale de cinéma.
Objectif Cinéma :
Il y a presque un effet de miroir.
Raphaël Nadjari : Ce
qui est juste par rapport au film, c'est que les gens qui
vont le voir continuent d'y participer. Ils continuent à
participer à des plans mal foutus qu'ils sont obligés
eux-mêmes de soutenir pendant la durée de déroulement
du plan parce que tu ne sais jamais si ça va péter
ou pas : cela continue l'histoire de sa fabrication.
Objectif Cinéma : Outre
le choix du super 8, il y aussi une prise de risque dans
la narration puisque tu t'es lancé dans cette histoire
sans scénario, ni dialogues.
Raphaël Nadjari : Il
y avait une histoire mais pas de scénario et pas
de dialogues. On prenait des plans du film, chaque soir
on me ramenait des photos et je faisais un puzzle pour composer
l'histoire. Il n'y a que la scène de départ
et la scène de la fin qui n'ont pas bougé.
Tout le reste a bougé à l'intérieur
du film. J'ai composé une vision hypnotique du personnage,
avec sa naïveté, et on découvrait tout
en même temps que lui parce qu'on ne savait pas où
on allait tourner le lendemain. On allait dans les lieux
qu'on trouvait.
Objectif Cinéma :
Il y a un peu une volonté
de faire un cinéma à l'instinct ?
Raphaël Nadjari : Oui.
C'est le film qui s'écrit en même temps que
tu le fais. Tu pousses cette démarche et cela devient
organique parce que les éléments de la vie
rentrent dans ton film. Tu intègres le voisin ou
le rabbin dans l'histoire. Tu rencontres plein de gens,
des tarés, des fous. C'est plein de vie.
Objectif Cinéma :
Avais-tu une scripte ?
Raphaël Nadjari : Oui.
C'était bien parce que sans scripte je ne sais pas
si j'aurais pu tenir le coup. Je n'avais pas de dialogues
enregistrés. Chaque soir on composait le récit
dans une gymnastique un peu rigolote. Mais on a réussi
à le faire, surtout grâce à Richard
(Edson), qui recentrait tout au travers de son regard.