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Objectif Cinéma : D'où vient cette opinion répandue de tabou sur la Terreur ?

Christian Jouhaud : Cela vient de la paresse des commentateurs ou de leur aveuglement idéologique. La production historique sur la Révolution Française, que ce soit au 19ème siècle ou au début du 20ème siècle, ou dans les années trente, ou dans les années récentes (au moment du bicentenaire par exemple) est très majoritairement, sinon antirévolutionnaire (ce qui arrive cependant), du moins anti-jacobine, et la dénonciation des horreurs de la Terreur est un lieu commun de l'historiographie. Depuis l'époque de la Révolution, il y a peut-être eu une vingtaine d'années (des années 50 aux années 70), où une historiographie de gauche très républicaine et même " sans-culottiste " (atténuant par exemple beaucoup la révolte vendéenne et sa répression) a semblé vraiment prendre le dessus sur la vision antirévolutionnaire de la révolution (et encore... les oeuvres des Bainville, Madelin, Gaxotte, historiens royalistes, n'ont cessé de faire de gros tirages et d'exercer une grande influence à peu près tout au long du vingtième siècle). Cette idée d'un tabou levé c'est de la fumisterie.

Ce que je voulais dire après cette parenthèse concerne le point de vue du cinéaste. Il a systématiquement durci ce texte d'une femme déjà ultra. Par exemple, il a gommé certaines mentions (rares mais nettes) de Grace Elliot à propos d'attentions manifestées à son égard par ses ennemis, des soldats, des membres des sections révolutionnaires. Tout ceci disparaît complètement dans le film et ce qui est rajouté est cette espèce de violence implicitement sexuelle, si je puis dire, des agresseurs populaires apparemment toujours au bord du viol (dimension sexuelle totalement absente dans le livre).

Objectif Cinéma (c) D.R.

Un exemple simplement pour montrer l'absence d' " innocence " de Rohmer en face du texte qu'il adapte. Cela pourrait passer pour un détail, mais il me paraît crucial pour comprendre la violence de ce film sur la violence. Il y a une scène terrible : au moment des Massacres de Septembre. Grace Elliot est en voiture. Les révolutionnaires approchent de la fenêtre la tête de la princesse de Lamballe au bout d'une pique. Elle est insultée par ces hommes qui lui mettent sous le nez cette tête, jusqu'à la toucher. Elle est horrifiée, elle hurle. Or, si cette scène est présente dans les mémoires, elle y est mise en scène à un tout autre moment. Certes la mort de la princesse de Lamballe est mentionnée, mais l'épisode de l'agression, de la tête au bout de la pique, des menaces et des insultes survient dans le récit le 13 juillet 1789, avant même la prise de la Bastille (qui fait horreur à Grace Elliott comme le reste). Et c'est alors une tête d'homme qui est brandie, et les agresseurs ne sont pas " la populace " mais un groupe de soldats des " gardes françaises " (un régiment certes rallié à la Révolution mais qui dans le passé proche a entretenu des rapports plutôt tendus avec le peuple parisien).

Donc, voilà : dans le livre c'est un homme au bout de la pique et non une femme, c'est en juillet 1789 et non au moment de la Terreur et ce n'est pas le peuple qui a commis cet acte mais des soldats professionnels. Rohmer a repris l'épisode d'une manière qui l'arrange pour décrire la sauvagerie populaire. Alors que devient la vérité de Grace à ce moment-là ? Qu'en a fait son garant ?.