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On a presque honte, tellement c'est
évident, d'avoir à rappeler, par exemple,
que si le gouverneur de la Bastille a bien eu la tête
tranchée le 14 juillet, dans des conditions qui nous
font horreur, la veille il avait fait tirer sur les "
manifestants " et qu'il y avait eu plus de cent morts.
La violence ces jours-là est une réalité
de la vie publique : les soldats du roi ne sont pas de doux
et inoffensifs policiers et le peuple de Paris ne les percevait
pas comme tels. Et il y a aussi une autre présence
de la violence, plus indirecte c'est la violence sociale.
Il y avait quand même des dominants dans cette société
et des dominés. Et pas simplement une civilisation
raffinée contre une populace abrutie. Ce n'est peut-être
plus trop à la mode de dire çà. Il
y a dans ce film aussi une sorte de quasi obscénité
sociale : le bon peuple, c'est le peuple des domestiques
soumis qui partagent les valeurs de leurs maîtres.
Je ne suis pas sûr qu'une telle vision n'aurait pas
fait scandale il y a une trentaine d'années en France.
Objectif Cinéma :
Je voudrais vous demander à
tous les deux ce que vous penser de la picturalité
du film, que le cinéaste proclame comme agent de
vérité absolue. Or il me semble que cette
picturalité n'est pas à séparer du
discours idéologique du récit filmique.
Arlette Farge : Je
trouve que c'est très beau mais là aussi il
y a une dualité. Cette picturalité ne sert
que les scènes d'extérieur et, en particulier,
les scènes violentes (par exemple, lorsque Grace
Elliot traverse la ville avec sa servante et qu'elle doit
passer près des corps massacrés sur le Pont
Neuf), jamais pour les intérieurs élégants
et paisibles des aristocrates dans leurs beaux salons aux
décors réels. Et dans les plans larges de
scènes de rue, cette picturalité sert à
montrer de tout petits personnages, le peuple, en incrustation.
Ce sont toujours des silhouettes : un peuple minuscule comme
des pantins animés et il y a de vraies personnes
dans les intérieurs en décors réels.
Deux mondes séparés donc.
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Christian Jouhaud : D'un
côté c'est très beau, c'est vrai, et
il y a quelque chose de parfaitement réussi dans
cette reconstitution artificielle. La force c'est de réussir
à montrer l'histoire dans l'intensité d'une
présence, mais aussi comme véritable passé
et donc comme quelque chose qui n'est plus là. C'est,
à mon avis, un passage indispensable pour faire un
vrai " film historique ". Utiliser des décors
totalement artificiels, mais authentiques dans ce qu'ils
montrent est une belle trouvaille. Mais comme le dit Arlette
la question est qu'est-ce qui en est fait après et
au service de quoi ?