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Arlette Farge : Cette
question du témoin est un grand débat, profond
et très intense en ce moment dans nos disciplines,
surtout pour l'histoire contemporaine. Effectivement, Christian
a raison de dire que les historiens ont utilisé et
utilisent encore les témoignages, en exerçant
leur travail critique. Or, il me semble qu'en ce moment,
les gens ont soif de quelque chose en quoi on pourrait avoir
immédiatement confiance, comme une vérité
qui arriverait toute seule. D'où la force du témoignage.
Mais cela n'existe pas, ni dans une parole dite ni dans
des mémoires. Car la vérité subjective
est construite socialement, sexuellement, etc. ; elle est
investie et produite à la fois par tout un univers
imaginaire, une vision du futur etc. Mais si on en est là
et que tout le monde semble content de ne pas avoir à
faire de travail critique, c'est parce qu'on veut à
tout prix évacuer l'idéologie et le recul
que suppose son élucidation. Sinon peu importe au
fond ce que disent les témoins ou ce qu'ils contredisent.
Ils ont dit une vérité, la leur. Et toutes
les vérités subjectives se valent. On ne veut
plus rassembler les choses avec un sens collectif, qui serait
fait des hésitations, des différences, des
écarts... Mais comme on veut évacuer tout
ce débat-là et tout particulièrement
les médias qui vont chercher cette parole du témoin,
celle du gréviste, du S.D.F, d'infirmières
etc, sans faire de synthèse ni d'analyse, on finit
par être formés à l'idée que
ce témoignage va aussi donner la vérité
du passé.
Or c'est non seulement un leurre complet mais ça
a aussi un sens absolument idéologique. On ne cherche
même plus le sens commun, et dans ce mot de commun
je mets quelque chose de très fort, non pas celui
du bon sens mais de quelque chose qui s'est passé
pour nous tous comme la Révolution Française.
Tout ceci est assez consternant.
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Objectif Cinéma :
Je constate bien à la lecture
de l'article de Marc Fumaroli, qu'un procès est établi
à l'encontre de l'histoire. L'historien serait l'expert
froid et par là-même suspecté de s'éloigner
de la sensibilité humaine. On en viendrait à
proclamer le relativisme radical des opinions comme critère
de vérité, à moins que des " valeurs
sûres ", par exemple les hiérarchies sociales
traditionnelles ne permettent de trancher.
Arlette Farge : Là,
il faut rendre les armes un peu. Je pense que l'on a été
trop longtemps dans une histoire qui ne se préoccupait
pas des émotions et des sensibilités. Il a
fallu ramer pour arriver à mettre la sensibilité
et la singularité au cur du débat historique.
Dont acte. Là maintenant, la coupe déborde
et en plus cela se greffe sur quelque chose dans l'air du
temps, on est d'autant plus avide de témoins "
vrais " et singuliers qu'il n'y a plus le sens du collectif.
Et, en effet, débordent en même temps que les
témoignages subjectifs mis tous sur le même
plan les paroles du conformisme.