Objectif Cinéma : Une
question à Lee Kang-Sheng justement
Comment
recevez vous cette façon de travailler, d'être
l'objet du travail de Tsai Ming-Liang et comment percevez-vous
cette évolution ?
Lee Kang-Sheng : C'est
un travail dans la continuité. Un travail amical
ancré dans le temps.
Tsai Ming-Liang : Kang
a gardé son naturel, il n'a pas l'impression d'être
un acteur. Ce n'est pas parce qu'il fait du cinéma
qu'il a changé quoi que ce soit dans sa vie. Il est
resté lui-même, ne fait pratiquement pas d'autres
films, ne cherche pas d'autres techniques de jeu pour élargir
son champ de travail. Comme Jean-Pierre Léaud, il
est à l'écran tel qu'il est dans la vie. En
même temps, par son côté naturel, je
découvre toujours quelque chose en lui. En fonction
de son expérience, il va avoir une réaction
différente ou une vision différente sur certaines
choses. Il n'est pas influencé par un style ou une
théorie précises, ni par une façon
de jouer particulière.
Objectif Cinéma :
Est-ce que Lee Kang-Sheng vous a
surpris lors du tournage de Et là-bas quelle heure
est-il ?
Tsai Ming-Liang : C'est
la maturité de Kang qui m'a surpris. Pour une scène
de La rivière, il n'arrivait pas à pleurer,
même si je lui donnais deux-trois claques (rires).
Dans une scène de Et là-bas quelle heure est-il
?, il doit pleurer pendant son sommeil, il a pleuré
naturellement, puisant dans sa propre expérience
personnelle, le décès de son père par
exemple, ou d'autres choses au fond de lui qui ont permis
à ses larmes de venir toutes seules. Moi-même,
en tournant cette scène, j'étais profondément
ému.
Objectif Cinéma :
Le film ultime que vous feriez avec
Lee Kang Sheng pourrait finalement n'être qu'un long
plan-séquence sur son visage, où se liraient
toutes les émotions
Tsai Ming-Liang : C'est
très important de travailler dans le temps avec un
personnage. Moi-même, lorsque je rentre en Malaisie,
mon pays natal, je revois toujours la contrôleuse
du bus, qui était déjà là quand
j'étais petit, et qui maintenant est plus âgée.
Sa présence me touche énormément. À
travers mes films, je voudrais que se dégage également
ce sentiment d'écoulement du temps, mais également
le vécu, les sentiments qui peuvent se dégager
à travers un visage.