Durant deux ans, dans trois mètres
carrés, seul avec sa caméra DV et un compagnon
de son, Pedro filme Vanda dans sa chambre durant des mois.
Plus de cent trente heures de matières vivantes pour
ce film de près de trois heures. Alors tout spectateur
ressent en ces chairs l'entière et immense palpitation
des puissances du cinéma. Enfin.
Objectif Cinéma : Que
s'est-il passé avec le distributeur du film Paulo
Branco quand à la présentation de votre film
sur les écrans ? Il n'y a pas d'affiches par exemple.
Pedro Costa : Ce
n'est peut-être pas le genre de film qui a droit à
des affiches dans les rues. Je ne sais pas. Seulement voilà,
les spectateurs doivent lire les journaux pour savoir que
le film existe et qu'il est projeté dans deux salles
à Paris. Pour combien de temps, je ne sais pas. Si
le film ne fait pas un minimum de spectateurs, j'ai très
peur qu'il disparaisse, alors même qu'il n'y a aucune
image ou photo dans les rues ou les salles pour annoncer
le film. Les critiques m'appellent, comme vous d'ailleurs,
et ils font leur travail d'annonce car ils aiment le film.
Objectif Cinéma :
Combien avez-vous eu d'heures de
rushes pour ce film?
Pedro Costa : 160
heures de film. J'ai commencé à tourner le
film tout seul à partir de 1998 avec une caméra
Panasonic coûtant 20 000 francs (3051 euros). C'est
déjà un modèle ancien qui n'existe
plus sur le marché, il y en a d'autres plus petites
et perfectionnées. J'ai acheté un pied fixe
pour la caméra, comme pour les appareils photo en
fait, de très classique et je suis partie dans le
quartier de Fontainhas où je connaissais des gens.
Je voulais faire quelque chose, je ne savais pas très
bien quoi, à part filmer Vanda, pas exactement filmer
sa chambre mais la filmer elle.
Objectif Cinéma :
Vous l'aviez rencontrée sur
le tournage de votre précédent film Ossos.
Pedro Costa : J'avais
un mélange d'acteurs et des gens comme Vanda, qui
n'étaient pas des comédiens. J'ai eu d'énormes
difficultés avec eux, non pas à les diriger
ou que j'avais peur qu'ils ne soient pas à la hauteur
des autres. Non, je sentais plutôt de leur part, et
surtout de Vanda, une résistance à cette chose
qu'est le cinéma. Et comme tous les pauvres cons
qui sont dans le cinéma, je m'attendais à
ce qu'ils soient fascinés par le cinéma, de
cette séduction où l'on fait tous la pose.
Cela se passe toujours ainsi sur un tournage de film ; c'est
très visible car tout un chacun pose comme pour une
photographie. Et ça ne dit rien du film. Ce n'est
pas très méchant ce que je dis là,
seulement ce n'est plus un travail auquel on a affaire,
mais à une affaire de séduction où
tout le monde se regarde en train de poser.