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Objectif Cinéma : Vous citez souvent deux cinéaste de cette époque hollywoodienne, Chaplin et Lang, comme des metteurs en scène artisans maîtrisant la chaîne de production de leur film, notamment pour Charles Chaplin.

Pedro Costa : Ce qu'on apprend très vite au métier du cinéma, c'est qu'il n'y a pas de secret technique. Il n'y a pas de mystère du cinéma. Si on fait une photo ou un film, cela s'apprend très vite au bout du deuxième et troisième film. Il y a de très grands films de l'histoire du cinéma qui ont une mauvaise image ! je commence avec Rossellini et son film Rome Ville ouverte (1945) c'est la photographie la plus merdique du monde, on n'entend rien et pourtant le film est splendide. Il n'y a donc pas de secret artistique ni de pose d'artiste, ce dont je déteste. Lorsque vous demandiez à John Ford pourquoi il filmait toujours dans ses Montagnes Rocheuses, il vous répondait que l'air était pur et que l'on mangeait très bien. Au fond, il avait raison, il n'y a pas de secret artistique. Seulement du travail.

  Objectif Cinéma (c) D.R.

Chaplin, parfois, ne savait pas quoi faire sur le plateau. C'est en se mettant au travail qu'il trouvait la matière, alors il découvrait les choses petit à petit. Il y a un très beau documentaire[1] en cassette vidéo, que l'on peut se procurer facilement, où l'on voit Chaplin qui fait un nombre incalculable de prises et il craque, il ne sait plus quoi faire, il s'en va. Il trouve mais plusieurs mois après. C'est l'histoire de la fleur des Lumières de la Ville (1931).


Objectif Cinéma :
Cela vous est-il arrivé avec Vanda ? C'est elle l'initiatrice du film, elle vous a lancé un défi en vous demandant de venir chez elle la filmer

Pedro Costa : Oui c'est elle mais je suis un peu loin de cette origine, de ce début. Si c'est une fiction que je me suis faite dans ma tête, mais je ne crois pas !


Objectif Cinéma (c) D.R.

Objectif Cinéma : Vous êtes-vous interdit de filmer certains plans ?

Pedro Costa : Oui mais ce n'était pas une question de principe. Dans ce sujet assez crispant car il s'agit filmer des gens qui sont très mal car ils n'ont pas d'argent ou de drogue et ils sont très pauvres. Il faut faire très attention. Je ne sais pas comment dire sinon je vais tomber dans ce piège poétique que je déteste. Je ne veux pas leur mentir ni les violer. Leur dire que je vais faire un film et le faire vraiment, que le film sortira et qu'il sera vu par des gens, dans les même salles que les productions commerciales avec 500 salles pour un seul film. Le mien est dans deux salles pour ceux qui veulent bien rester trois heures. Certains vont peut-être s'emmerder mais quatre autres aimeront et resteront jusqu'au bout. Le devoir du cinéaste est aussi de savoir qu'il y a des limites morales et ce n'est pas un mot sordide que la morale. Une morale qui soit une liberté pour protéger les gens. Vanda ne sort pas salie ni violée du film. Elle a vu le film comme tout le monde d'ailleurs du quartier. Ils voulaient savoir et ils m'ont dit des choses, par exemple qu'ils n'aimaient pas telles scènes et c'est bien car ça fait partie du travail. Pour les garçons, l'un disait que cela n'allait plus pour lui car il avait trop parlé de sa mère et il ne le supportait pas de voir le film en entier. Il a pleuré. C'est le garçon noir dans le film et il nous touche beaucoup. C'est le danger de ces films comme le mien où les gens se risquent trop parfois ; moi dans ma petite fonction de fonctionnaire du cinéma et eux dans ce qu'ils vivent, sans faire semblant d'arracher une larme, ce qu'il n'y a pas dans le film. Mais on peut imaginer des océans de larmes et cela touche beaucoup plus. Ces larmes sont là avant et après mais jamais dans une urgence obscène du présent. Je reviens à cette histoire de patience opposée à l'urgence. Je déteste le piège de la séduction où l'on se déverse comme certains comédiens, pour soi-disant dire une urgence de la souffrance. C'est de la pose et quand je lis dans la presse quelqu'un dire " j'ai fait un western cubiste " c'est du n'importe quoi. Où dire que l'écran est masculin. Mais qu'est-ce que ça veut dire ? Si on commence à parler comme ça d'un film, c'est foutu.