Objectif Cinéma : Je
reviens à cette idée du travail et de ce qui
se vit devant la caméra. En tant que spectatrice,
je me suis sentie immédiatement en prise avec ce
qui se vivait dans ce quartier Fontainhas sans être
portugaise ni même en rapport avec la drogue. Je pouvais
rester encore trois heures de plus à voir et écouter
ce qui était du travail de ces vies.
Pedro Costa : Je
trouve important ce que vous dites, car, pour moi, c'est
ce qui doit s'appliquer à tous les films. On est
dans un film, on a fait un travail ensemble, à capter
et mettre en scène ou non ; on a senti des choses.
Dans ce cas-là, avec une caméra, mais cela
peut être avec un stylo, on a monté et après
c'est une chose qui se voit pour tout le monde. Ce film
long et dense est comme une musique, une forme presque symphonique
avec pleins d'informations, de directions multiples, avec
un jeune homme au début que l'on voit deux heures
après. Et cela peut être difficile à
gérer pour un spectateur. Mais il me semble qu'il
y a un minimum de temps partagé ; que nous avons
vécu ainsi avec Vanda et les autres.
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Objectif Cinéma :
J'ai rarement vu un si grand film
politique et moral avec des moyens extrêmement fragiles
que les vôtres, ou alors il faudrait revenir aux films
nés de la guerre, ceux où il y avait urgence
à inventer d'autres formes pour raconter l'horreur,
je pense à Rome Ville Ouverte, entre autres.
Pedro Costa : Je
n'arrête pas de penser à cette idée,
qui me parait juste en ce qui concerne les films : soit
c'est de la poésie soit c'est de la politique. Et
moi je veux la politique car on ne peut qu'être politique.
Et ce qui importe est de ne surtout pas être dans
l'urgence. Il faut supprimer cette notion d'urgence collée
au politique car c'est le contraire de l'amour. C'est là
que ça commence. La politique, c'est l'amour. L'amour
c'est un rapport aux choses qui doit forcément être
différent et je filme un arbre ou un mur simplement,
si je l'aime ce mur je ferai en sorte d bien le filmer et
bien le cadrer. Où alors je suis dans la publicité
des sentiments et je ne veux pas ça. Je ne vais pas
souvent au cinéma à cause de cela ; de cette
peur et de cette angoisse de ne pas comprendre. Je pars
ou je ris parfois mais difficilement. Je m'en vais tout
de suite et je ne comprends plus rien, je trouve ça
bizarre, je me dis que ce n'était pas comme ça
avant au cinéma. Je dois être un peu réactionnaire,
je ne me sens pas dans le présent, la société
a changé, tout est différent. Quand j'étais
jeune, je voulais faire des films et changer les choses
car le cinéma est un art important. Et les films
que j'ai vu me disaient cela. C'était très
fort, en sortant de la salle de cinéma, je pouvais
courir pendant quatre heures. Un film d'aujourd'hui ne me
fait plus cet effet. Je me souviens très bien d'avoir
vu Pierrot le fou et de vouloir le vivre avec les copains
dans notre vie, le film continuait dans la rue. Une autre
leçon de Chaplin : une rue est une rue, les gens
sont les gens et quand c'est bien solide à l'écran,
ça continue dans la rue quand vous sortez de la salle
de cinéma. Il y a le même danger, la même
tendresse et la même féerie. C'est un vertige
bien précis : l'espace et le temps. C'est très
dangereux de traverser une rue et le cinéma américain
vous propose un autre espace/temps qui n'existe pas dans
le réel. Prenez n'importe quel film américain,
même un Scorsese c'est tellement faux que cela en
devient dangereux. C'est très simple à expliquer.
Si vous regardez l'Aurore de Murnau, regardez bien les rues,
quand je dis la rue c'est la vie ; et la violence est là,
nue. A oublier cela on le paye très cher. Vanda prouve
que l'on peut quand même faire des films avec très
peu de moyens et ils sont riches en même temps. Il
y a de très belles choses dans ce quartier qui existe
toujours.