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  Objectif Cinéma (c) D.R.

Il était très important pour moi que le film soit enfin complété, que j'utilise la quintessence du matériel que j'avais tourné, cela m'a permis aussi d'avoir une réflexion sur la relativité des points de vue et de la perception de ce que l'on fait. C'est une très grande chance, en tout cas pour moi, d'avoir pu revisiter mon travail avec le temps, le recul, la distance, davantage d'expérience, un regard plus acéré, une meilleure technique du montage, les acquis d'une évolution du langage cinématographique. J'ai pu effectuer une réflexion critique par rapport à mon propre travail : comment j'ai pu laisser durer tel plan, pourquoi je ne l'ai pas interrompu, pourquoi je ne l'ai pas fait au contraire durer, j'ai coupé des scènes, j'ai interverti l'ordre à l'intérieur d'une scène…


Objectif Cinéma : Avez-vous un exemple concret ?

Jean-Jacques Beineix : Dans une scène, le dompteur arrivait dans une voiture américaine, le plan était réussi, mais il y avait un moment faible. J'ai coupé cette partie faible tout en gardant le sentiment d'humiliation qui dominait (c'est la séquence où des machos veulent obliger Thierry à accomplir une sorte de bizutage).

Objectif Cinéma (c) D.R.

Le cinéma est un art très subtil dès lors qu'il passe par des choses évidentes. On ne peut pas dire des choses subtiles avec une forme de récit trop subtile. Pour faire passer quelque chose de subtil, il faut que la mécanique soit bien huilée. Trop de subtilité amène à un manque d'efficacité. Il faut servir le récit, et ce n'est pas forcément en coupant que l'on donne du rythme à un film. Il est plus nécessaire de savoir où se trouvent les vrais moments de force. Un film est un triptyque : l'écriture, le tournage, les finitions. Ce sont trois temps différents, c'est vraiment l'idée du palimpseste : on écrit sur de l'écrit.

 

Objectif Cinéma : Quelle a été l'histoire de cette version intégrale ?

Jean-Jacques Beineix : J'ai toujours écrit des scénarios trop longs, et j'ai toujours tourné long. J'aurais fait un bon feuilletoniste, même s'il n'est pas trop tard pour cela. Peu de temps après le succès de 37°2, j'ai demandé à Patrice Ledoux (directeur général adjoint de Gaumont à l'époque), la possibilité de réaliser une version intégrale de La lune dans le caniveau, qui devait faire 4 heures à l'origine. Il est revenu quelques jours plus tard en me disant que tout avait disparu, tout avait été détruit. Les distributeurs ont la garde du matériel, doubles, chutes, négatifs des films qui leur sont confiés. Mais tout cela a un coût, et régulièrement, le laboratoire demande au producteur, par l'entremise du distributeur, si le matériel doit être gardé. Pour La lune dans le caniveau, tout a été détruit sans que je sois prévenu. Il ne reste plus rien. C'est toujours aujourd'hui un grand chagrin, il y avait des scènes entières qui n'étaient pas montées, d'autres personnages, l'histoire d'une relation avec une jeune prostituée,etc.