Objectif Cinéma : Les
personnages féminins dans votre film sont vraiment
superbes. D'où vient Nadia, la femme noire ?
Merzak Allouache : Ce
sont des jeunes que j'ai trouvé à Alger en
faisant des castings. D'ailleurs j'ai été
surpris de trouver des jeunes filles qui voulaient faire
du cinéma, ce n'est pas évident dans un pays
comme ça. C'est tout le paradoxe de ce pays, que
résume la femme de l'officier, quand elle dit que
dans ce pays on peut tout faire, mais en cachette.
Objectif Cinéma :
D'où vient le personnage
de la femme aveugle ? On a l'impression de l'écho
lointain d'un passé de l'Algérie.
Merzak Allouache : C'est
une française qui est restée coincée
là-bas. J'avais écrit une séquence
où elle racontait un peu sa vie, mais c'était
un peu trop lourd. Donc j'ai préféré
la laisser un peu mystérieuse. Quant au lieu, ce
sont des endroits qu'on trouve dans le désert, des
espèces d'auberges, des bordels, des lieux pour les
camionneurs.
Objectif Cinéma : À
travers le personnage d'Hakim, n'avez-vous pas voulu exprimer
un drame, une souffrance que subit une certaine jeunesse
algérienne, et qui vient d'une espèce de crise
des valeurs. C'est très net lorsque Hakim parle des
émissions de la télévision française
qu'il connaît bien. Ce détail montre bien qu'il
est culturellement désorienté.
Merzak Allouache : Aujourd'hui,
il y a une grande misère morale, économique.
Cette nouvelle génération de jeunes ne peut
plus s'accrocher à rien. J'ai l'impression que les
jeunes vivent une réalité virtuelle là-bas.
Tout connaître, tout voir à travers les chaînes
de télé, le satellite, puisqu'ils ont 150
chaînes, et puis les cyber cafés, où
les jeunes passent des nuits entières à aller
sur les forums de discussion Internet. Tout est virtuel,
mais sur place, ils tournent en rond. Quel choix se présente
à eux ? Avant ils avaient la solution de suivre les
groupes islamistes et de devenir terroriste, mais maintenant
ils forment des bandes disséminées. Ensuite
il y a le trabendo, le marché noir. Sinon c'est la
fuite. C'est ce qu'on retrouve généralement
dans les pays du Maghreb, mais en Algérie il y a
aussi une crise identitaire en raison du manque de discussion
sur la guerre de libération, sur le mouvement national,
sur la berbérité. Ce débat arrive seulement
maintenant, au prix d'émeutes et de morts. Je suis
allé en Algérie et j'ai lu des choses sur
la Kabylie : quand la population le veut, aucun officier
ne rentre en Kabylie. C'est incroyable
À travers
Hakim, j'essaye de montrer non pas un terroriste qui a été
fanatisé dans les mosquées, mais un jeune
homme qui été contraint de partir parce qu'on
lui a fait violence. On a tué ses deux frères
et il est parti par vengeance. Or, en Algérie, on
pense qu'on ne peut pas dépeindre un terroriste,
c'est un tabou. J'ai dépeint comme une caricature
attendue : le mec qui dit : "Brûle et égorge."
C'est une image. Tandis qu'Hakim est présenté
avec toute sa complexité.