Maelström, sorti en 2001, amplifiait
la musique intérieure de Denis Villeneuve. Là
aussi, un accident de voiture - comme pour Simone - marquait
le changement de destin de l'héroïne. Riche
héritière de la Pub, Bibiane pouvait devenir
une Séguela en jupe de cuir, mais sa vie bascule
en même temps que le clochard qu'elle renverse.
La ville devient alors un instrument d'épouvante
mais aussi de reconquêtes de soi. Rarement, dans le
cinéma contemporain, l'espace urbain aura été
décrit avec autant de sauvagerie et de poésie
cumulées. Sans oublier l'humour, omniprésent,
qui ne sert pas ici à véhiculer des mots d'auteur
poussiéreux mais des dialogues sonnant étonnamment
vrais.
Autant de raisons qui nous ont poussés
à questionner Denis Villeneuve sur son parcours,
ses "visions" et ses personnages.
Objectif Cinéma :
Vous souvenez-vous de ce qui vous
a poussé à devenir cinéaste ?
Denis Villeneuve :
La nécessité d'établir le contact avec
la réalité (les autres).
J'étais prédestiné à contempler
un plafond pour le reste de mes jours. Le cinéma
est pour moi une bouée de sauvetage, une mécanique
qui me permet de transformer cette apathie sous-marine en
action, et de monter à la surface.
La vérité est que plus je tourne, moi je sais
d'où exactement est née cette envie. Dans
mon cas, je crois que cela s'apparente davantage à
une maladie.
Objectif Cinéma :
De vos deux films, le 32 Août
et Maelström, semble se dégager - entre autres
- l'idée d'un combat entre pureté (des relations
humaines) et hostilité ou en tous cas pression du
monde extérieur. La ville, les ports, les aéroports,
le lieu de travail semblent être des poids au-dessus
des personnages qui se débattent pour faire vivre
leur rencontre ou leur passion...
Denis Villeneuve : C'est
le caractère abrasif du réel. Le monde n'a
jamais été aussi binaire et cynique. La perte
du rapport sacré au monde m'émeut beaucoup.
Il y a coupure nette avec la mort : il n'y a plus de rituels,
d'outils, d'espaces, d'échanges avec la mort si ce
n'est cette mort déguisée, lente de la consommation
comme nirvana qui a engourdi la plus grande majorité
de mes concitoyens. La mort par la matière. Ces évidences
(et grandes banalités pour nous tous) ne m'assomment
pas moins pour autant.
Le rapport à l'espace est, chez moi, aliéné
par ce sentiment abyssal d'être étranger partout
où je suis, de ne pas avoir de racines. Le monde
des hommes m'est hostile, pas la nature.