Objectif Cinéma
: Un 32 Août est-il
le premier script de long que vous ayez écrit in
extenso ? Si non, quels étaient les univers et les
thèmes des scenarii avortés ?
Denis Villeneuve : J'ai
travaillé pendant 4 ans à l'écriture
d'un film intitulé Le film maudit. Ce scénario
existe en 12 versions qui donneraient, chacune, un film
complètement différent : je ne savais pas
comment " réécrire " un scénario.
L'idée commune à tous ces embryons de script
était la perte de la mémoire collective et
l'impérialisme culturel américain : des textes
inspirés de cinéma quoi. Rien d'intéressant
à mon avis. Des trucs complètement décollés
de la réalité écrit au fond d'un lac.
Objectif Cinéma :
L'idée du titre (Un 32 Août...)
s'est-elle imposée rapidement ?
Denis Villeneuve : Le
titre du scénario était : Simone en 1997 .
J'aimais beaucoup ce titre. Les distributeurs et le producteur
eux craignaient, puisque le film allait sortir sur les écrans
en 1998, que ça nuise au marketing du film : raison,
à mon sens, de toute évidence ridicule. Mais
ayant joui d'une liberté totale tout au long de la
création et réalisation du film, je cédais
finalement à ce caprice et finit par proposer ce
nouveau titre, qui est donc né à la toute
fin de la fabrication du film. Il m'a fallu du temps pour
m'y habituer.
Objectif Cinéma : Avez-vous
l'impression que le cinéma québéquois
est plus "libre", et propice au décalage,
que le cinéma français ?
Denis Villeneuve : Le
cinéma québécois est né d'un
désir de liberté. Il a perdu cette liberté
aussitôt qu'il a voulu faire cinématographique,
prouver je ne sais quoi aux autres. Il est maintenant, en
partie, aliéné et aliénant. Pour répondre
à la question : non je ne crois pas.
Objectif Cinéma :
Dans vos deux films, les héroïnes
féminines semblent se battre contre leur "naissance"
en tous cas contre ce qui les valorise au yeux des autres.
L'une refuse de poursuivre une carrière de mannequin,
l'autre remet en cause le monde dans lequel elle évolue...
Cela a-t'il à voir avec votre passage de la pub (monde
artificiel, immédiat, bien payé) au cinéma
(plus long, plus solitaire, plus "hasardeux")
?
Denis Villeneuve : Je
n'ai pratiquement pas fait de publicité. C'est un
monde avec lequel j'ai de grandes difficultés de
communication : je ne comprends pas les publicitaires, je
me sens parmi eux comme un fumiste, un intrus, un imposteur.
Je suis devenu très heureux le jour où j'ai
réalisé pourquoi la réalisation de
publicité m'apparaissait intangible. C'est que j'ai
développé rapidement un rapport sacré
aux images et il m'est impossible de mettre en scène
et de tourner quelque chose avec lequel je n'entretiens
pas un rapport intime de gravité. Il faut que l'image
me parle, sinon je tourne n'importe comment, sans aucune
inspiration. J'ai alors décidé de ne tourner
que des images avec lesquelles je peux risquer l'abandon
: la publicité en est automatiquement exclue.