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Objectif Cinéma (c) D.R.

Objectif Cinéma : Gardez-vous de votre enfance le souvenir de chocs visuels particuliers ?

Eduardo Serra : Je n'ai qu'un souvenir magique, celui de mes premiers émois de spectateur de cinéma. C'était à Lisbonne, j'avais trois ou quatre ans, et j'allais dans une très belle salle de cinéma-théâtre à l'italienne avec un balcon, du velours rouge sur les fauteuils, des dorures, plusieurs étages, corbeille, balcon, etc. Tous les jeudis matins, il y avait un film pour les enfants. Dans cette salle, ils avaient rajouté des petites lampes blanches sur les balcons. Il y avait ce moment magique où le grand lustre s'éteignait, puis restaient alors les lampes blanches qui brillaient avant de s'éteindre à leur tour. Enfin les petites lampes bleues dans l'obscurité qui s'éteignaient enfin avant la projection du film, le tout dans des hurlements d'enfants. C'est le seul souvenir significatif qui me revient en mémoire. Quand j'étais jeune, j'étais davantage tenté par la réalisation, puis j'ai eu de la chance d'être admis à l'école Lumière puis d'avoir eu des opportunités dans la branche image. Je sais maintenant que cela aurait été pour moi une absurdité de rentrer dans la branche mise en scène car déjà l'assistanat à la mise en scène comporte énormément de choses qui ne conviennent pas du tout à ce que je suis ; je n'aurais jamais pu le faire bien, je n'aurais jamais pu vendre une idée, un scénario, vendre le film au public, toutes ces choses qui sont vraiment aux antipodes de ma personne. J'ai eu de la chance que les circonstances me poussent vers un domaine où je suis assez heureux.


Objectif Cinéma : Est-que la lumière portugaise a influencé la conception de votre travail ?

Eduardo Serra : Ce sont des choses qu'on ne peut pas généraliser. Pour des films ou des scènes, on doit piquer des stimulants ou des références quelque part, dans une photo, un tableau... Il m'est arrivé de me référer à la lumière de Lisbonne, mais je m'intéresse davantage à la manière dont les gens vivent la lumière, leur rapport à la lumière. Pour l'un de mes premiers films, réalisé au Portugal, je m'étais inspiré de cette idée : l'été, au Portugal, avec cette lumière forte, les gens se barricadent chez eux pour rechercher l'obscurité et la fraîcheur mais le soleil les poursuit à l'intérieur comme un ennemi ou un envahisseur...


  Objectif Cinéma (c) D.R.

Objectif Cinéma : Parlez-moi davantage de ces fameux stimulants qui interviennent dans la préparation d'un film...

Eduardo Serra : Quand je commence à travailler sur un projet, quand je commence à voir vers où il faut aller, je vais chercher dans mes références photo, cinéma et peinture pour trouver des choses qui renforcent mes réflexions ou m'ouvrent de nouvelles pistes. Cela m'aide à mettre les choses en place. Pour le Mari de la Coiffeuse, je me suis inspiré pour les scènes de plage de Merovitch, un photographe américain que j'aime beaucoup, pour un autre film je suis allé chercher des gravures, dessins et aquarelles de Goya... Comme j'ai une certaine culture visuelle, j'ai un univers d'images qui m'entoure. Souvent, je vais tâtonner pour trouver quelque chose réagira avec les idées que j'ai déjà, et m'aidera à clarifier les choses et aller plus loin. Sur les ailes de la colombe, il y avait déjà une commande de base pour tous les départements : une référence picturale, un peintre italien du XIXème qui a beaucoup travaillé sur Venise, mais je suis allé plus loin dans les choses de la même époque pour trouver une teinte, une couleur d'image et pour trouver une référence de style d'éclairage. J'ai une aversion très forte par exemple pour les tournages traditionnels de nuit avec contre-jour bleuté. Je savais que je voulais tourner avec des torches, et les lumières qui étaient là. J'ai fini par trouver un peintre italien avec une ou deux images très précises, qui m'ont permis de clarifier mes réflexions. Ce tableau m'a permis de dire que la lumière devait être au niveau du sol, mais surtout cela a constitué une base concrète et visible de discussion avec le réalisateur.