Objectif Cinéma : Vous
me disiez que Chabrol s'intéressait moins à
l'aspect visuel de ces films. Cela vous laisse plus de latitude
pour les imaginer...
Eduardo Serra : Cela
n'est pas plus facile pour autant. Car il va privilégier
d'autres aspects et délaisser les effets visuels.
Il peut choisir par exemple des décors impossibles
où on ne peut rien faire. Il y a des lieux où,
par rapport au mur, au plafond, ou à ce qu'on doit
tourner, un mauvais opérateur fera un truc immonde
et le meilleur opérateur du monde fera quelque chose
de neutre et d'uniforme. Le fait d'avoir une liberté
devient alors une contrainte. Vous pouvez faire ce que vous
voulez, mais en même temps vous pouvez vous retrouver
dans des situations sans issue.
Objectif Cinéma : Contrairement
à Chabrol, Leconte privilégie l'aspect visuel.
On peut dire que vous formez véritablement un tandem,
(sans jeu de mots) avec lui...
Eduardo Serra : Pas
à ce point là. C'est parce qu'on tourne beaucoup
ensemble qu'il y a cette impression. Il a fait des films
avec trois ou quatre opérateurs, moi j'en ai fait
six avec lui, ce qui doit être un tiers de sa filmographie...
Autant où il est très extrêmement attaché
pour le montage ou la décoration à travailler
avec les mêmes collaborateurs, Patrice aime bien varier
les approches visuelles de ces films, il espère toujours
être surpris ou qu'un autre opérateur lui apporte
des choses nouvelles, il est très sensible à
l'image. Patrice, en réalisant beaucoup de publicités,
a toujours envie d'essayer d'autres choses, il va choisir
la personne en fonction du sujet : il est certain que si
vous voulez tourner à la montagne et que vous travaillez
avec quelqu'un qui a horreur de la montagne, ça ne
peut pas fonctionner.
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Objectif Cinéma : Avec
Leconte, vous avez fait plein de choses différentes,
des scènes d'action des Spécialistes à
l'intimité du mari de la coiffeuse... En quoi Leconte
vous surprend toujours ?
Eduardo Serra : Par
son audace et sa force visuelle, Leconte fait souvent des
choses très inédites, différentes et
variées, d'une justesse absolue, totalement révolutionnaires
et jamais gratuites. Les plans inventés dans le mari
de la coiffeuse sont à tomber ! Des déséquilibres
de cadre, justement, et une force dramatique extraordinaire
!! Il aime beaucoup faire des champs-contre champs par derrière
- qui est un peu le système Ozu. Leconte qui affecte
de détester les films japonais est en fait le plus
japonais des cinéastes européens !!! Monsieur
Hire, par exemple, est le plus japonais des films européens
!!!