Objectif Cinéma : Les
débuts des films de Leconte sont toujours assez étonnants.
Je voudrais que vous m'expliquiez comment a été
réalisée la remarquable séquence générique
du Parfum d'Yvonne qui commence par frôler la surface
d'un lac pour se terminer sur la silhouette d'une femme
sur un bateau...
Eduardo Serra : La
louma était sur le pont du bateau avec un travelling.
La caméra était à ras de l'eau puis
panotait, montrait le bateau et s'avançait vers l'actrice.
C'est effectivement un très beau plan. Le premier
plan de Tandem, aussi, était très impressionnant
parce qu'il rompait avec tout ce qu'il avait fait avant.
C'était une mise à plat, un véritable
nettoyage !!
Objectif Cinéma :
Vous auriez aimé faire Tandem
?
Eduardo Serra : Oui,
mais c'était un projet ancien de Patrice dont il
avait été question quelques années
avant, pour la télé, et Denis Lenoir était
alors partie prenante. Il a fait ensuite Monsieur Hire et
j'ai eu la chance de faire le mari de la coiffeuse qui est
un film que j'adore aussi en tant que spectateur. J'ai eu
cette chance rare de tourner l'un de mes films préférés.
Ce film a déclenché des passions dans de nombreux
pays étrangers, notamment au Japon. Des gens me sont
tombés dans les bras en Argentine et en Suède
en sachant que j'avais travaillé sur ce film... Le
mari de la coiffeuse a un réseau d'admirateurs dans
le monde entier, ceux qui l'aiment ont un rapport très
fort avec lui.
Objectif Cinéma : Je
sais que vous n'aimez pas trop la lumière artificielle,
par exemple celle qu'on retrouve dans les films éclairés
dans les années 40-50 par Henri Alekan. Le mari de
la coiffeuse a été tourné en partie
en studio. Comment avez-vous contourné cet "
écueil " de la lumière artificielle ?
Eduardo Serra : J'ai
fait une chose qui ne s'était jamais faite. Je ne
voulais pas utiliser les systèmes habituels d'éclairage,
les projecteurs, etc. Je préférais un éclairage
uniforme, une voûte céleste, indépendamment
du soleil, un ciel gris, nuageux et couvert qui " arrose
" l'ensemble. J'ai utilisé la lumière
fluorescente dont l'utilisation est parfaitement courante
aujourd'hui mais qui ne l'était pas à l'époque.
J'ai installé 400 tubes de lumière fluorescente,
de différentes formes et dans différentes
positions pour faire la voûte céleste. Cela
ne s'était jamais fait, le producteur était
un peu nerveux, l'installation a duré deux semaines,
et il fallait voir ce que cela donnait, il fallait vraiment
avoir la qualité et la quantité de lumière
espérées. Heureusement ça a marché,
ça a été une très bonne opération
à tous les points de vue. On a eu une lumière
parfaitement uniforme qu'on aurait pas eu autrement. Il
n'y avait pas de dégagement de chaleur, pas besoin
de changer les lampes, et le coût était amorti
parce qu'il n'y avait pas de location de projecteurs, pas
de consommation électrique (qui est très élevée
en studio). Cela n'aurait pas été rentable
si on était resté une semaine en studio, mais
le tournage a duré six ou sept semaines et ce fut
de ce point de vue une bonne formule. Quand on a appuyé
sur le bouton la première fois pour savoir ce que
ça donnait, c'était vraiment le suspens parce
que personne n'avait de références. On avait
beau faire les calculs, on ne pouvait rien prévoir...