Objectif Cinéma : Que
pensez-vous du développement des techniques numériques
et du dogme de Lars Von Trier ?
Eduardo Serra : Ah
Lars Von Trier, ça ne m'intéresse pas du tout.
Ce sont des expériences marginales à contre-courant
et dans le cas de Breaking the waves, il est même
assez choquant de tourner en 35 mm et de dégrader
ensuite l'image au moyen de techniques de réalisation
très complexes et très chères. Je ne
peux pas comprendre ça.
Par contre, le passage par l'ordinateur pour la post-production
se développe de plus en plus : ça peut être
pour créer des univers comme dans Au-delà
de nos rêves, ou pour faciliter le travail des trucages,
ça change la manière de faire des cascades
aussi, on est plus obligé de lancer un type en l'air,
il reste attaché ; on est plus obligé de mettre
de côté un endroit pour tourner un film d'époque
parce qu'il y a des antennes télé, etc. On
peut faire un panoramique qui débute sur un décor
réel et se terminer sur un décor numérique
sans que personne ne puisse faire la différence.
Cela va établir de nouveaux modes de fonctionnement
parce que tout ces processus sont si longs qu'un opérateur
ne peut pas rester surveiller toute la post-production.
Il faut se faire confiance et travailler en équipe.
Si tous les créateurs du film s'approprient l'instrument
ce sera génial, mais si on laisse faire des ingénieurs,
ce sera un désastre !
Objectif Cinéma : Est-ce
que l'apparition de caméras vidéo numériques
petites et légères peut changer l'esthétique
du cadre ?
Eduardo Serra : Dans
99% des cas, la caméra DV n'apportera rien de plus
par rapport à la caméra 35 mm portable. Je
me suis toujours méfié des caméras
très légères car elles sont plus instables,
elles rendent le " papillonnage " plus facile
et n'apportent pas grand chose à priori. Evidemment
il y a toujours des cas où c'est très utile.
Cela peut constituer un apport pour un film ou une histoire
de temps en temps. Cela peut juste changer des choses en
amont, pour tourner des brouillons par exemple.
Objectif Cinéma : Quand
vous étiez étudiant à Louis Lumière,
y a t-il des principes qu'on vous a enseignés et
qui ont été contredits par votre expérience
?
Eduardo Serra : Beaucoup.
Pratiquement tous au niveau de l'éclairage. Comment
faire des nuits, comment éclairer des visages...Tout
cela relevait un peu de l'esprit Alekan. Il y a eu deux
choses : à la fois un changement de matériel
qui rend les choses possibles et une attitude : on transmettait
une manière d'écrire avec la lumière
et la caméra qui avait ses règles. Tout en
restant très mitigé sur le bilan de la nouvelle
vague, c'est vrai que ça obligeait un peu à
se poser des questions. A Vaugirard, je n'ai jamais tourné
en couleurs : quand on a commencé à tourner
en couleurs, on tournait comme on tournait en noir et blanc.
Il fallait mettre un contre-jour qui détache les
gens du fond alors qu'en couleurs, si on a un visage contre
un mur bleu-clair par exemple, ce ne sont pas deux gris
qui vont se confondre, même s'ils ont la même
valeur en neutre ! On n'a pas besoin de mettre une auréole
autour du visage pour qu'il se sépare du mur du fond
! Si on met une autre lumière pour équilibrer
la lumière principale (comme c'était la règle),
il y aura deux ombres données... L'idée simple
et basique qu'on ne doit mettre la lumière que d'un
côté de l'espace, que la lumière doit
être contenue en gros à 180°, n'était
pas admise. On partait sur le principe des faisceaux croisés
qui se compensent. Or, le changement radical, la modernité,
c'est le refus radical des faisceaux croisés.
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