Objectif Cinéma :
Justement, quand vous avez terminé
un scénario, est-ce que vous arrivez à l'abandonner
facilement, est-ce que vous vous remettez immédiatement
à l'écriture ou est-ce que vous êtes
plutôt assommé ?
David Cronenberg : Si
tu écris ton scénario, ça peut parfois
prendre trois ou quatre ans avant que le film ne soit réalisé,
et parfois ton scénario ne peut aboutir, soit car
il n'est pas assez commercial, soit par ce que tu ne trouves
pas d'acteur, ou pour des tas d'autres raisons. Mais quand
ton scénario a la possibilité d'être
réalisé, c'est un processus très long
et compliqué, tu es d'abord scénariste, puis
réalisateur, puis peut-être producteur aussi.
Alors quand je me remets à écrire un autre
scénario, il me faut souvent un peu de temps pour
me replonger dans le travail d'écriture.
Objectif Cinéma :
En tant que spectateur, quels sont
les films qui vous ont donné foi en le cinéma,
ou qui vous ont simplement donné envie d'en faire
?
David Cronenberg : Je
n'ai aucune foi dans le cinéma ! Dans Camera par
exemple, j'ai voulu discuter de la mort et du cinéma,
mais aussi de la mort du cinéma. C'est une discussion,
pas une déclaration, je ne dis pas que le cinéma
est mort. Pour moi, faire un film est une exploration, une
discussion que j'ai avec moi-même et que je présente
ensuite au public. Je ne veux pas faire de prophétie,
je propose de réfléchir. Il peut m'arriver
de dire des choses que je n'ai pas envie d'entendre, mais
je les exprime car elles font parties de mon cheminement,
de ma réflexion. En ce qui concerne les films qui
m'ont donné envie de faire du cinéma, il y
en a beaucoup mais je n'en parlerai pas. Il n'y a pas de
film parfait, mais des expériences cinématographiques
parfaites, qui ont à un certain moment de notre vie
un impact plus ou moins violent.
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Objectif Cinéma : Quand
vous tournez un film, est-ce que vous vous contentez de
suivre un story-board ou est-ce que vous laissez place à
l'improvisation, à l'écriture automatique,
je pense au Festin Nu par exemple ?
David Cronenberg : Je
n'utilise pas de story-board. L'art de filmer est pour moi
quelque chose de très physique, sculptural, tactile.
J'ai besoin d'être sur le plateau avec les acteurs,
les décors, les accessoires, et c'est seulement là
que je décide quelle lentille, quelle focale je vais
utiliser, quel plan je vais faire. J'utilise bien sûr
le story-board pour les scènes où il y a des
effets spéciaux complexes, qui nécessitent
beaucoup de préparation, et une grande précision.
Objectif Cinéma : Vos
films marquent par leur impact visuel. Vous dites souvent
que le point de départ d'un film est mental. J'aimerais
que vous nous parliez du passage de l'idée au concret,
au visuel, de ces mots qui deviennent chair ?
David Cronenberg : L'essence
de la littérature est la métaphore, comparer
une chose à une autre. C'est un travail dur à
faire au cinéma, car cet art est par nature un peu
documentaire, il entretient avec le réel un rapport
fort. C'est pourtant ce qu'Eisenstein a tenté de
faire, en montrant un lion rugissant pour symboliser la
foule en train de rugir, et il s'est rendu compte que cela
ne marchait pas. C'est très important de pouvoir
éclairer, définir quelque chose en le comparant
à une autre. J'ai essayé de faire ça
de façon différente dans mes films, et souvent
il est vrai que ce qui est très physique a un point
de départ abstrait, conceptuel. J'ai une tendance
à créer de nouveaux objets, organiques ; je
cherche l'équivalent d'une métaphore, tout
en tentant de garder un côté documentaire.