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Objectif Cinéma : En repensant à "Mortel Transfert", je voulais vous faire part d'un paradoxe qui m'est personnel. J'ai l'impression que votre dernier film réussit curieusement la synthèse entre une image sophistiquée et une vérité des personnages.

Jean-Jacques Beineix : Je suis heureux que vous l'ayez remarqué. C'est bien avec l'ambition de filmer des personnages, et donc des acteurs que j'ai entamé ce film. Je finissais par me poser des questions à force de lire des pamphlets contre l'esthétique de mes films et le manque d'épaisseur de mes personnages. Or c'est vrai que je n'ai eu de cesse de simplifier et de dépouiller ce que je faisais, même si de temps en temps, c'est plus fort que moi, je repars dans d'incoercibles élans baroques. Mais ces moments baroques et esthétiques sont de plus en plus simplifiés, épurés. C'est sans doute le fruit de mon expérience du documentaire, le manque de moyen, forcément, à un moment ou à un autre, vous conduit à simplifier la phrase, à la raccourcir : il faut aller à l'essentiel

Le documentaire vous suggère sans arrêt de vous intéresser à la vérité des gens que vous filmez. Sans même vous en rendre compte vous entrez dans ce schéma. La caméra n'a plus du tout la même gestuelle, c'est beaucoup plus simple parce que c'est léger, et en même temps, la légèreté vous empêche de faire des choses et de fabriquer des chorégraphies trop complexes. Bien souvent on y gagne en force. Vous filmez des gens qui ne vont pas refaire la prise. Il faut saisir ce qu'il y a signifiant dans leurs gestes, dans leurs mots, alors que quand vous mettez en scène, vous allez vous arranger pour que dans le geste, l'essentiel apparaisse, mais c'est le fruit d'une mise en place, d'une réflexion, en bref, d'une mise en scène.

  Objectif Cinéma (c) D.R.

La plupart du temps au cinéma, au départ il n'y a rien ­ le cinéma fabrique. Au mieux on plaque du faux sur du vrai. Par exemple, au mieux, je fais passer des acteurs sur un pont de la Seine, au pire en plus des acteurs, le pont est faux.
Film ou documentaire, en fait, on recherche exactement la même chose par des moyens opposés. On cherche à mettre en forme une vérité. Dans un cas, elle est le fruit d'une mise en scène, d'une dramaturgie, dans l'autre, elle est une captation de la réalité.

"Assigné à résidence" m'a probablement aidé car j'étais dans une situation où j'essayais d'expliquer ça, je veux dire de le comprendre dans mon propre travail. Je ne vois pas de différence dans ces deux recherches, dans un sens j'ai été assez déçu de réaliser que les deux genres étaient cloisonnés : peu de gens du cinéma se sont intéressé à ce film. En revanche, le film a été jusqu'aux Emi Awards. C'est une prouesse dans le genre. Ce travail m'a beaucoup apporté, ne serait que de retrouver une certaine motivation. Au-delà de la rencontre unique avec Jean-Dominique Bauby et l'aventure hors norme dont j'ai été témoin (Jean-Dominique Bauby vivait quand même aux marges de la condition humaine), je me rapprochais du cinéma muet. C'était l'effet Koulechov dans toute sa splendeur ! Imaginez un homme qui n'exprime rien par le langage parlé, un homme qui ne peut plus bouger, qui semble inerte, duquel ne sortent plus que des sons archaïques, du moins dans notre vision de bien portants, de parlants.