Dès lors toute image qui va venir interférer
avec ce visage immobile sera forcément prise pour
l'expression de sa vie intérieure. C'était
une situation rêvée pour un cinéaste,
on retrouve presque la pureté du cinéma muet.
L'essence du langage cinématographique.
L'effet du montage prenait toute sa force. Et aussi le rapport
entre l'image et les mots. Imaginez un homme qui dicte un
livre par le truchement des battements de sa paupière
! Un clignement veut dire oui à une lettre. Une mécanique
simple qui permet d'arriver à des choses extrêmement
sophistiquées. C'était un paradoxe qui m'a
justement conduit à faire des images presque "pures".
Objectif Cinéma :
La voix of était presque
superflue finalement...
Jean-Jacques Beineix : Peut-être.
J'ai toujours vécu le dilemme de la voix off. En
même temps, Orson Welles, Truffaut ou d'autres, plein,
l'ont pratiqué... La voix off cristallise probablement
les rapports coupables de l'écrit et de l'image.
Certains cinéastes ont le passeport pour l'utiliser
d'autre ne l'ont pas. Je dois faire partie de la deuxième
catégorie. Elle m'a toujours tenté, je n'ai
jamais tout à fait su si je devais ou ne devais pas
l'utiliser. J'ai donc souvent choisi un compromis ; je l'ai
utilisé un peu. Mes questions à son sujet
n'étaient pas d'ordre technique mais bien plus déontologique,
ou encore intellectuel. C'est toute la question de l'acceptation
d'un procédé. L'image cinématographique
a, si souvent implicitement fait référence
au réalisme qu'elle n'a jamais tout à fait
accepté le recours à ce procédé.
C'est un sujet que l'on n'est pas près d'épuiser.
La voix off existe dans la plupart des films que j'ai fait.
Les gens l'oublient. Dans "La lune dans le caniveau",
"37°2", "Mortel Transfert". Dans
quatre films sur six j'y ai eu recours.
Je termine en ce moment la version intégrale de "Roselyne
et les Lions", j'ai dû me faire violence pour
ne pas en rajouter, mais je tiens bon jusqu'à maintenant.
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Objectif Cinéma :
La voix off me gêne davantage
dans "La lune dans le caniveau". Je ne sais pas
si c'est à cause de la voix du comédien, elle
empêche aussi l'idée d'une pureté du
cinéma poétique. Mais je me demande d'ailleurs
si votre envie la plus profonde n'est pas de faire un film
entièrement muet mais sonore ?
Jean-Jacques Beineix : Oh
oui ! D'une certaine manière je peux dire que j'en
rêve ! C'est presque impossible aujourd'hui. Pourtant
cela serait magnifique, qui sait. De toute façon,
c'est tout de même moins difficile que de faire un
film en noir et blanc. "Assigné à résidence"
est ce que j'ai fait de plus proche de l'idée du
film muet. J'ai encore beaucoup de marge.