Objectif Cinéma : Mais
il y a aussi de très beaux moments suspendus entre
les amoureux de "Roselyne et les lions", entre
la diva et le facteur de "Diva". Des moments qui
ressemblent à certaines scènes de beaux films
muets...
Jean-Jacques Beineix : Vous
avez raison, mais ce ne sont que des moments. On oublie
aussi de dire que les films muets avaient fréquemment
recours à des cartons pour indiquer les dialogues,
les intentions. J'ai parfois le sentiment que mon cinéma
est perpétuellement contrarié et que mon destin
a été souvent contrarié. J'en suis
le principal responsable, je n'ai jamais fait exactement
le film que je devais faire, que je voulais faire, à
un moment ça m'échappe. C'est comme cela pour
beaucoup d'artistes mais tous n'en conçoivent pas
nécessairement de la douleur, moi si. C'est vrai
que j'ai envie de faire des choses extrêmement simples,
sans mouvements d'appareils, que j'aspire à un certain
dépouillement. Quand j'y arrive, parfois c'est bien.
Je suis très heureux que vous l'ayez vu, c'est rare
qu'on me le dise.
L'entretien s'interrompt quelques
instants. Le rendez-vous suivant de JJB est arrivé,
mais l'entretien continue.
Jean-Jacques Beineix : Vous
avez vu "le chien de Monsieur Michel ?"
Objectif Cinéma : Oui.
On retrouve d'ailleurs en germe dans ce film votre amour
pour les personnages secondaires qui peuplent votre cinéma.
Jean-Jacques Beineix : C'est
bien de leur rendre hommage, j'ai l'impression parfois qu'ils
sont les vraies raisons de ma motivation à faire
du cinéma. J'ai le sentiment que les premiers rôles
m'encombrent.
Les personnages principaux vous obligent à vous plier
aux lois de l'histoire, ils portent en eux les rouages de
l'action. Les personnages secondaires eux racontent des
histoires qui se moquent de la logique du récit,
ils ont en eux une logique propre, ils se moquent des lois
de l'action. Le cinéma moderne n'aime pas que l'on
sorte de la logique de l'action, on se doit d'être
dans l'action, il faut servir l'action, il faut dépouiller
tout le reste sinon c'est du temps mort, y compris les dialogues.
On fait disparaître aujourd'hui les balbutiements,
les silences, les moments de réflexion. C'est d'ailleurs
pourquoi je remonte tous mes films les uns après
les autres. Tous ceux qui voient aujourd'hui au cinéma
"2001 : Odyssée de l'Espace" voient un
chef d'uvre. C'est le contraire de certaines merdes
actuelles où il y a 400 plans à la minute
en permanence, et dans lesquelles la notion d'espace et
de durée n'existent plus guère. Seul compte
l'action, c'est-à-dire une négation du temps.