J'ai toujours eu plus ou moins de difficultés avec
la durée de mes films. Depuis "La Lune dans
le Caniveau", je n'ai jamais tout à fait cessé
pas de ressasser une situation d'échec. C'est un
film qui a été altéré dans sa
durée, il n'aura jamais la possibilité de
connaître sa véritable longueur. Tout a été
détruit par Gaumont. Les chutes les doubles. Il y
avait une bonne heure utile de plus. C'est un film qui a
connu le lynchage critique à Cannes. Cela en soi
n'a pas une grande importance, ce qui a été
pénalisant pour moi, c'est de n'avoir pas su vraiment
si j'avais raison ou tort d'avoir fait ce film comme je
l'ai fait, je n'ai jamais pu tout à fait me situer.
Un artiste doit pouvoir trouver des références
par rapport à ce qu'il fait. Cela n'a rien à
voir avec le succès au sens ou on l'entend mais cela
recèle une partie de la question que l'on se pose
quand on fait une uvre. Suis-je en accord avec moi-même,
ai-je trouvé la bonne distance.
Avec le recul, j'aurais su si j'avais
vu juste mais pour cela il me fallait reprendre mon travail
et le voir dans la longueur que j'avais souhaitée
au départ. C'est pour cette raison que j'ai fait
la version intégrale de "37°2" et que
je suis en train de réaliser celle de "Roselyne
et les lions". Je sais d'ores et déjà
que j'avais raison de faire ces films comme je les ai faits.
Bien sûr ces considérations nous éloignent
plus ou moins de l'ordre économique, et c'est d'autant
plus exemplaire. Il existe un ordre supérieur. On
n'a pas souvent l'occasion d'en faire état, c'est
celui de la validité d'une uvre dans son esprit
et dans la conception qu'en a l'artiste.
Objectif Cinéma :
Justement, j'ai revu la version
de "Roselyne" qui avait été diffusée
en 1990 sur Canal Plus : elle ne dure que 1h 50, il manque
des scènes !!
Jean-Jacques Beineix : Toujours
le syndrome de "la Lune dans le Caniveau" : rendre
la durée d'un film responsable de son échec.
On a beaucoup charcuté "Roselyne" pour
tenter de le ramener à une durée plus "commerciale
", pour satisfaire la demande étrangère.
J'ai eu le tort de me prêter à ce jeu. Mais
vous verrez bientôt la version intégrale. Cette
version permettra de restituer au film son vrai visage et
pour moi de me sentir en paix avec mes doutes. On retrouvera
tous les personnages secondaires et des séquences
magnifiques, sans doute on retrouvera une certaine drôlerie.
"Roselyne" raconte l'histoire de deux adolescents
qui partent à la rencontre d'eux-mêmes, ils
doivent perdre leur innocence pour entrer dans l'arène.
"Roselyne" est un film sur le spectacle, sa dureté,
sa beauté. Je pense que les fauves sont l'émanation
de la matière qu'il faut mettre en forme le temps
d'une représentation. Cela fera trois heures.
On ne cesse de parler de la longueur des
films. C'est presque un réflexe pavlovien : à
l'écran dès que l'on tente d'exprimer une
idée de durée, cela devient systématiquement
synonyme de longueur. C'est insupportable !! Sur chaque
film, mon obsession est toujours de trouver la bonne longueur.
Les films sont des combats contre le temps, souvent contre
les autres, mais surtout contre soi-même, contre ses
doutes, ses velléités, ses peurs, ses emportements
Le metteur en scène doit apprivoiser son impatience,
composer avec ses doutes. La composante temps est sans doute
l'une des plus difficile à maîtriser
J'ai souvent dit que je finirai par faire un film autobiographique.
J'aimerais raconter la vie d'un cinéaste. Le travail
d'un film, le travail du temps à l'uvre.
Je me sens de plus en plus entraîné vers la
dissidence, pas une dissidence spectaculaire, plus un sentiment
d'ennui face à l'ordre établi et à
la fatalité qu'il ne puisse pas être défié.
Je suis dans une recherche.