Objectif Cinéma :
Dans la solitude aussi...
Jean-Jacques Beineix : Oui
et non. Oui parce qu'il m'arrive de me demander où
je vais, j'ai de plus en plus souvent le sentiment de me
trouver dans une impasse. Pour qui faire des films ?
Quel public ? J'éprouve un
certain mépris pour un grand nombre de dirigeants
des grandes compagnies actuelles, et pas seulement dans
le cinéma ou la télévision, ce sont
des gens qui ne regardent les choses qu'en termes de rentabilité
immédiate, sans imagination. C'est comme ces cinémas
qui sont conçus pour canaliser le mieux possible
les spectateurs vers les confiseries. Si on prodiguait autant
d'attention aux films, ce serait mieux.
Non par ce que j'ai d'autres centres d'intérêts
dans la vie, la création en elle-même me passionne
et me procure beaucoup de plaisir, dans le fond c'est exposer
qui m'emmerde le plus. Malheureusement les deux vont de
pair, c'est la loi du genre.
Objectif Cinéma :
Que pensez-vous d'un cinéaste
comme Léos Carax avec qui l'on vous a un jour comparé...
Jean-Jacques Beineix : On
faisait en effet souvent un amalgame entre nous il y a quelques
années. Il fallait ajouter Besson à la liste.
Cette liste se conjuguait dans tous les sens. Il y a certainement
des points communs entre le cinéma de Carax et le
mien, plus qu'entre Besson et moi, ceci n'est pas un jugement
de valeur. Aujourd'hui Luc a changé de braquet, nous
on reste des besogneux, lui il vole vers les sommets, il
construit un empire. C'est assez remarquable. Je ne sais
pas pour Carax, mais moi je ne sais pas faire cela. J'en
ai eu la velléité à une époque
chez Gaumont, mais ils n'ont pas compris ce que je voulais.
Je n'ai jamais rencontré Carax, enfin nous nous sommes
croisés pour la première fois, étrangement,
il y a quelques semaines à Hong Kong.
Je connais tous ces films et je les trouve
traversés d'éclairs de génie bien souvent.
À un moment, j'avais l'impression d'une proximité
de nos styles. Il y avait des rencontres entre "La
lune dans le caniveau" et "Les amants du Pont-Neuf".
On avait fait tous les deux une uvre poétique,
pas forcément bien comprise, dans lequel le rapport
entre le réalisme et la poésie était
parfois magnifiquement maîtrisé, et, à
d'autres, beaucoup moins. Il y avait des moments formels
fulgurants.
Les destins des deux films ont été extrêmement
chahutés, controversés, mais l'accueil critique
était plus réussi pour Carax, alors que "la
Lune" a, objectivement subi un lynchage. J'aurais l'occasion
de revenir sur ce point dans un livre dont je vais commencer
l'écriture très prochainement.