Je me souviens de m'être extasié
devant certaines scènes de son dernier film. Je pense
parfois qu'il fait tout pour qu'on ne l'aime pas, pour être
certain de ne pas être déçu par le désamour
des autres, pour ne pas avoir la déception d'être
abandonné. En quelque sorte, il crée les conditions
d'un amour impossible, entre le public et lui. Ces films,
en grande partie, disent cela indirectement en montrant
des personnages qui s'excluent, qui se marginalisent.
Pourquoi un cinéaste existe-t -il
plus qu'un autre ?C'est parce qu'il dit quelque chose de
très fondamental pour lui, de très personnel.
Qu'il a un style, probablement aussi. Hier, je revoyais
"Le vieux fusil". Toutes les histoires des films
de Robert Enrico tournent autour d'un même concept
: un amour impossible qui, in fine, une fois que la femme
a disparu, donne la possibilité de se retrouver entre
potes. C'est extraordinaire !! C'est comme Sautet, ce cinéaste
très obsessionnel, très répétitif,
au sens musical, dans sa litanie des amitiés, des
groupes, des femmes qui orbitent autour de quelques hommes
qui s'aiment.
Objectif Cinéma :
Les personnages de votre cinéma
sont souvent des êtres obsessionnels qui ont toujours
une quête... Je me demande si la quête de Michel
Durand dans "Mortel Transfert" n'est pas tout
simplement la recherche de lui-même...
Jean-Jacques Beineix : C'est
le sujet principal d'un bon nombre de films. J'avoue que
c'est le centre de la plupart de mes films. À cela
il faudrait ajouter l'initiation. La quête du père,
de l'amour.
La plupart de mes personnages se
cherchent, c'est sans doute le reflet d'une préoccupation
personnelle. Savoir qui l'on est, se situer. À partir
de là, on peut réellement entrer en contact
avec les autres. Si on reste centré sur soi même,
on est forcément malheureux et l'on rend malheureux
les autres. C'est le passage à l'âge adulte
que je tente de décrire sous des formes plus ou moins
élaborées.
Je raconte l'histoire d'un idéaliste qui sait que
le monde est pourri.
Qui sont ceux qui échangent le
moins dans le monde ? Les névrosés et, pire
encore, les psychopathes et les pervers qui veulent que
le monde ressemble à leurs caprices ou qui enferment
les autres dans leurs visions. On vit dans une époque
où c'est la société toute entière
qui semble être atteinte de ce mal. Pour comprendre
ce mécanisme on est tenté d'étudier
ceux qui vont mal. C'est ce qu'a toujours fait le polar.
La médecine étudie le malade pour comprendre
ce qui est sain. Je crois que les cinéastes, les
écrivains, passent leur temps à ressasser
ces questions de la maladie, de l'errance, de la névrose,
par ce que nous en sommes solitaires et que nous tentons
de sortir de notre isolement et à comprendre en fait
la seule chose compréhensible et admissible : l'amour.