Objectif Cinéma : D'une
certaine manière, l'inquiétude et l'angoisse
du personnage de Michel Durand évoquent la souffrance
du monde actuel. C'est un film moins "serein"
que vos précédents.
Jean-Jacques Beineix : Je
ne suis pas tout à fait convaincu d'avoir jamais
fait un seul film serein. J'aurais certainement aimé.
Mais d'autre part, je n'ai pas le sentiment que le monde
soit réellement d'une grande sérénité.
"Mortel Transfert" aborde la question de la névrose
et de la mort. De plus, l'univers de la psychanalyse inquiète.
Par ailleurs, à titre personnel, je ne me sens pas
vraiment dans un climat de sérénité,
cela déteint sur mes films. "Mortel Transfert"
ressemble à un cauchemar dont le héros tente
de sortir pour retrouver la vie et la sérénité,
justement. Beaucoup de films sont bâtis sur ce type
de situation, par exemple, bon nombre de films Hitchkockiens
Je crois que le film reflète une part d'inquiétude,
de crainte par rapport au monde.
On est aujourd'hui en droit de se poser la question de la
validité d'un tel propos.
Dire que le monde va mal est une évidence, le montrer
au cinéma n'est peut-être pas une bonne idée.
Depuis quelque temps on a le sentiment que les spectateurs
sont plus à la recherche de divertissements que de
films. Ils veulent se divertir, oublier leurs problèmes.
On dirait aujourd'hui : " Ne pas se prendre la tête
". J'ai pourtant pensé faire une comédie.
Mais nous n'avons pas vraiment su communiquer sur cela,
et puis certains n'avaient pas envie de voir le film sous
cet angle. J'ai quand même le sentiment que quoique
je fasse mes habituels détracteurs y trouveraient
à redire.
C'est inquiétant si l'on ne peut
plus faire de films qui dérangent ; le cinéma
devient de plus en plus orienté par le marketing.
Il devient tendance, tendance douce, consensuelle. Ce n'est
pas avec ce genre d'idées en tête que je me
suis orienté vers le cinéma.
Cela pose de graves questions. Par ce
que si l'on doit, avant chaque film, se poser la question
de l'opportunité de tel ou tel sujet, alors, on va
dans le mur.
Pour en revenir à la question, je pense que le film
reflète la crise d'un homme et sa gesticulation pour
s'en dégager. Mais, avant tout, c'est une comédie,
noire, macabre, mais une comédie. Il n'en reste pas
moins que l'échec de la carrière du film me
met dans une relative impasse.
Objectif Cinéma : Artistiquement
?
Jean-Jacques Beineix : Non,
artistiquement, je ne me suis jamais senti aussi riche,
aussi fort. J'ai été cassé quelques
jours par ce que c'est vrai que je me suis fait descendre,
une fois de plus.
L'impasse réside beaucoup plus dans la marge de manuvre
réduite qui découle de l'échec d'un
film. Les moyens que vous donne le succès sont très
appréciables.