C'est dommage pour moi, car, encore une fois, je ne me suis
jamais senti autant créatif. Alors, il se peut que
je me tourne vers d'autres formes de création. À
mes yeux c'est le plus important. Pouvoir continuer à
fabriquer des trucs qui me réjouissent, c'est ma principale
ambition, si en plus quelqu'un trouve cela à son goût,
c'est parfait.
Musique, peinture, de toute façon le cinéma
n'est jamais loin, il ne faut pas oublier que c'est un art
de synthèse.
Objectif Cinéma :
Mais pourquoi vous ne faites pas
abstraction de tout cela ?
Jean-Jacques Beineix : Je
compare beaucoup le cinéma avec l'art de la guerre.
On est un général ou l'on est un chef de bande.
Je réagis comme n'importe quel stratège qui
analyse une situation sur un champ de bataille : vous avez
dix divisions, vingt divisions, plusieurs corps d'armées
et à un moment vous avez tout perdu ! Vos troupes
ont été décimées !! Vous n'êtes
plus du tout dans les mêmes conditions stratégiques.
Je suis obligé d'abandonner le terrain, je ne peux
plus faire une guerre de grande envergure. Je dois toucher
l'ennemi d'une autre façon. Je suis maintenant dans
situation de guérilla et je n'ai plus la force de
frappe que j'avais avant. Je l'ai momentanément perdue
cela m'amène aussi à différer le moment
où je vais devoir faire un autre film puisque j'ai
besoin de reconstituer mes forces. C'est vraiment quelque
chose qui m'obsède. Le cinéma passe aussi
par les moyens ! Le cinéma raconte peut-être
très bien les histoires d'amour, mais il ne vit pas
que d'eau fraîche, c'est un art lourd.
Je travaille depuis dix-sept ans sur mon film de vampires,
"L'affaire du siècle"... C'est une histoire
extraordinaire !! Mais il me faut 300 millions !!
Objectif Cinéma : Qu'allez-vous
faire si vous n'arrivez pas à monter ce projet alors
?
Jean-Jacques Beineix : Je
ne sais pas. Je me pose la question d'en faire une bande
dessinée et ce sera tout. Je vais faire autre chose.
Vous n'êtes pas le seul à me poser cette question,
je voulais édifier la muraille de Chine, je me contenterai
peut-être juste de construire un petit château
dans mon jardin !!
L'un de mes héros, c'est le Facteur Cheval. Je parle
souvent de ce mec. Je suis quand même sidéré
par ce genre de personnages. Il fabriquait dans son coin
le palais Idéal. Avec des matériaux de toutes
sortes, il édifiait dans son jardin un château,
comme ça, toute sa vie, pour lui. J'ai envie un peu
de faire la même chose. Je vous assure que c'est vrai.
Dans le fond, je me fous assez que l'on vienne ou non voir
mes films ; ce qui me fait vibrer c'est de les fabriquer.
Le succès n'est qu'un moyen d'en faire d'autres.
C'est surtout pour cela que l'échec m'atteint, il
réduit mes possibilités.