Objectif Cinéma :
Vous avez écrit plusieurs
versions de ce projet de film de vampires ?
Jean-Jacques Beineix : J'ai
une impressionnante collection de versions qui s'empile.
Je n'ai jamais autant travaillé. Je suis pourtant
paresseux, je voudrais toujours avoir fini quand ça
ne l'est pas. Avec le temps, j'ai appris les vertus du travail,
de la patience, de la constance. Je suis resté bloqué
des années sur ce scénario. Il faut comprendre
que personne ne m'attendait, j'étais seul, il ne
dépendait que de moi que les choses avancent. C'est
une situation de totale liberté, mais c'est aussi
la chose la plus difficile à assumer.
Cette situation explique sans doute en
grande partie l'arrêt de neuf années Je n'arrivais
pas à finir mon scénario. Je ne parvenais
pas à me motiver. J'avais écrit un premier
scénario à New York. Là, j'avais un
contrat avec Paramount. Plusieurs fois je me suis remis
à travailler, je suis parti des mois pour travailler
seul. Le travail d'adaptation est infernal par ce que le
roman de Marc Behm est une jungle, c'est à la limite
de l'adaptable, il foisonne d'idées, mais chaque
phrase recèle une nouvelle situation. J'ai cru que
je n'arriverais pas à aller jusqu'au bout, et puis
j'ai fini par vaincre mes blocages et j'ai écrit
une énième version, c'était la bonne,
au moins jusqu'à aujourd'hui. Canal+ avait donné
son feu vert. Je suis parti une nouvelle fois m'installer
à Hollywood. J'ai encore travaillé sur l'adaptation
américaine. Une des conditions du deal était
que le film se fasse en anglais. Encore une fois cette idée
saugrenue de technocrate qu'au delà d'un certain
budget un film doit nécessairement se faire en anglais
pour se vendre. C'est stupide, mais beaucoup de décideurs
s'accrochent à ce concept. Résultat, ils font
des films qui s'abîment au milieu de l'Atlantique.
Canal+ a fini par abandonner le projet.
Manque de constance dans l'effort, souvenir de cuisantes
déconvenues Outre Atlantique. Le plus amusant, c'est
que toutes leurs bonnes résolutions d'orthodoxie
budgétaire l'on volé en éclats quelques
mois plus tard avec le Pacte des Loups. Mais cela n'a pas
empêché le film de faire un grand succès.
Après l'abandon du film par Canal+,
je me suis dit qu'il fallait continuer. Je me suis lancé
dans la production de "L'affaire du Siècle"
tout seul avec Cargo Films. Financement et mise en ordre
du projet. On a commencé la préparation du
film, on travaillait avec une équipe de trente personnes,
deux directeurs de production, j'ai des dessins, des plans,
un story-board, le décor de la tour est incroyable
!!
Mais je n'ai pas pu boucler totalement le budget, nous avons
dû renoncer. C'était quelque chose de très
pénible pour tout le monde. On avait vraiment cru
qu'on allait y arriver.
Je vais reprendre le travail. A m'être tellement approché
du but, je sais désormais qu'il est à ma portée.
C'est une folie. L'histoire de ce film est en elle-même
un film. En définitive, c'est beaucoup plus qu'un
film de divertissement. Je dois trouver la force d'imposer
ce film. De toute manière, je me suis rendu compte
que c'était dans le travail qu'on trouvait l'inspiration.
L'inspiration est en grande partie le fruit du travail,
elle finit par venir, et elle donne la force.