Objectif Cinéma :
Le chef opérateur Jean Pierre
Sauvaire connaissait la technologie numérique ?
Emmanuel de Fleury : Généralement,
c'est l'opérateur qui sait tout, avec ses dix ou
quinze ans de métier de plus que nous. Pour Vidocq,
on sentait que la mission était plus importante.
Toute l'équipe était assez jeune. Nous on
était là pour l'aider. Malgré mon "
statut " d'assistant, je me disais que je pouvais certainement
lui apporter plein de choses d'un point de vue technique
sur les pièges de la vidéo. Quand des choses
très jolies à l'il ne passaient pas
à l'oscilloscope, on tirait la sonnette d'alarme
! On devait lui faciliter la tâche pour que son travail
artistique ressemble à du film. Notre chef opérateur
faisait toute sa lumière au moniteur ; nous, on contrôlait
à l'oscilloscope la courbe de la lumière.
Travailler sans cellule, c'est aussi demander au steadicameur,
Alessandro Brambilla, de faire des allers et venues entre
les intérieurs et extérieurs, cadrer le ciel,
lui dire qu'on tourne à tel diaph', rentrer pour
commencer à tourner
La cellule, c'est la caméra
!
Objectif Cinéma : Tu
as participé aux essais caméra?
Emmanuel de Fleury : Je
suis arrivé assez tard dans la préparation.
Les caméras ont été disponibles trois
semaines avant le tournage chez Alga (prestataire du matériel
Panavision). Il a fallu prendre des décisions très
rapidement. Ils ont eu avant tout des essais techniques,
des comparatifs numérique/film pour être sûr,
puis des essais du numérique seul, en haute et basses
lumières et surtout en réfléchissant
à la transposition sur pellicule. A partir du moment
où on tourne en numérique, l'image peut être
très belle mais impossible à reporter en film
: c'est ce qui se passait au début. Dans la pratique,
on obtient un signal vidéo sur un moniteur qui doit
être suffisamment important pour aboutir à
une image identique sur film. Il a fallu se méfier
de la profondeur de champ, qui peut parfois gêner
l'il en vidéo quand elle est trop importante.
Le plus embêtant pour nous et la post production,
à l'oscilloscope, c'était que notre signal
vidéo était trop faible. On a donc doublé
la lumière. On a parlé du problème
en réunion de production en demandant deux fois plus
de lumière, deux fois plus de projecteurs, des camions
et une équipe deux fois plus importante. On se serait
rendu compte du problème au bout d'une semaine, ça
aurait pu être catastrophique.
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Objectif Cinéma : Tu
avais des notions techniques en vidéo numérique
?
Emmanuel de Fleury : Personne
ne connaissait réellement. J'avais quelques notions
comme tout le monde mais on était là pour
réapprendre et pour repenser à tout parce
que c'était une nouvelle méthode à
trouver qui devait marcher du début à la fin
du tournage. Fallait-il étalonner les caméras
pendant le tournage ? C'était des petites choses
que l'on devait décider. On a des petites bases en
vidéo donc on doit tout reprendre à zéro
dans la méthodologie. Est-ce que l'on a adopté
la bonne technique ? Je ne sais pas ! On a essuyé
les plâtres en faisant ce qu'on pensait être
au mieux et ça s'est bien passé.
Objectif Cinéma :
Et l'équipe technique, comment
s'est-elle adaptée au numérique ?
Emmanuel de Fleury : On
a une nouvelle caméra, donc il y a des préjugés
: certaines personnes se disent qu'on n'a pas besoin de
lumière, que c'est comme les caméras vidéo,
qu'il n'y a pas besoin de deuxième assistant car
les cassettes remplacent les pellicules, les caméras
sont télécommandables
Partant de là,
plein de certitudes se révèlent être
fausses et il faut réapprendre à la fois à
l'opérateur et à toute l'équipe une
façon de tourner. D'un seul coup, l'opérateur
se retrouve derrière un moniteur pour faire sa lumière.
JP Sauvaire a choisi de se procurer le plus gros moniteur
possible en haute définition, (un petit ne suffit
plus) placé dans une cage au noir, complètement
opaque, pour obtenir à l'il le meilleur rendu
possible et pouvoir dire "ça, c'est mon rendu
film, je travaille à partir de mon moniteur, je n'ai
plus besoin de cellule
!" Ce procédé
a posé problème dès lors qu'on entrait
et sortait de cette cage : on perdait des valeurs à
l'il. Très rapidement, on a décidé
que quelqu'un reste dans cette cage au noir pour faire les
raccords entre les plans, vu que l'opérateur avait
du mal à entrer et sortir en plein jour et assurer
l'équilibre de ses lumières. C'était
une nouvelle méthode à trouver. Pour les plans
au steadicam, c'est le chef op qui suivait ces plans au
moniteur. Pour les plans fixes, les assistants caméras
ou le chef électricien avaient la charge de l'étalonnage
des plans dans cette cage. C'était assez compliqué,
notamment dans la cour du Panthéon, quand la lumière
passait du soleil aux nuages. L'étalonnage se fait
dans les menus de la caméra. On ne pouvait pas changer
les paramètres de colorimétrie de l'image
et voir le rendu. Donc un deuxième technicien étalonne,
pendant que tu lui donnes les corrections à l'écran,
"
Ouvre le diaph, plus 1 en vert, plus 2 en bleu
".
On est parti du principe que tout ce qui apparaît
sur le moniteur est un rendu film. A partir de là,
les gens voulaient que ça soit "joli" dès
le retour sur moniteur. Depuis, d'autres méthodes
ont été employées comme tourner le
film avec les réglages caméra d'usine - car
les techniciens savent que l'étalonnage se fera en
post-production - mais pour ce premier film on voulait partir
des meilleures images possibles, pour rassurer aussi l'ensemble
de l'équipe ! Ce qu'on voit sur l'écran n'est
pas ce qu'on voit sur le plateau. Mais les méthodes
et les caméras évolueront, ça ne fait
aucune doute.