
A plus long terme, je voulais écrire une thèse
sur Lynch et étudier tous ses films, ses chansons,
ses peintures, ses pubs, ses projets non concrétisés,
les scénarios non réalisés... Je téléphonais
à l'époque partout pour avoir un maximum d¹informations.
Je contactais très régulièrement Ciby
2000, qui était alors sa société de
production, je contactais aussi une femme qui travaillait
dans la pub et avait vent de tous ses projets dans ce domaine.
On m'a mis un jour en relation avec le
festival de Monaco où devaient être diffusés
ses premiers courts métrages. Finalement, les courts
métrages ne sont jamais passés. Mais en rappelant
l'organisation du festival, j'ai fini par tomber (sans me
rappeler des circonstances exactes) sur un ami de Lynch,
qui m'a donné ensuite ses coordonnées. J'ai
appris en le contactant régulièrement pendant
l'été 1995 que se préparait le projet
Lost Highway.
Mon fantasme, c'était avant tout de pouvoir rencontrer
Lynch un jour, une heure et de faire une interview pour
enrichir mon mémoire. Au-delà de mes rêves,
je voulais lui dire que j'étais prêt à
sacrifier mes économies pour passer un jour sur le
tournage à Los Angeles. J'ai donné mes deux
mémoires à l'ami de Lynch, qui les lui a remis.
Quand il est revenu en France, il m'a rappelé, et
m'a dit que l'épouse de Lynch, qui parle très
bien le français, les avait feuilletés et
lui avait traduit certains titres. Le titre du mémoire
sur Elephant Man (Le Regard est le Miroir de l'âme)
lui avait vraiment beaucoup plu.
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Objectif Cinéma : Finalement,
Lynch avait été sensible aux mots...
Roland Kermarec : Pour
une fois. Peut-être avait-il été sensible
au côté naïf. L'ami lui avait parlé
de ma demande de venir un jour sur le tournage. Il m'a annoncé
que ce ne serait pas possible sur une journée mais
que c'était d'accord pour l'intégralité
du tournage ! J'en suis resté muet ! Lynch était
vraiment la seule personne que je désirais rencontrer
au monde, avec Clint Eastwood et Stanley Kubrick.
J'ai demandé malgré tout
à réfléchir parce que je me demandais
vraiment comment j'allais vivre là-bas pendant trois
mois, financièrement parlant. L'ami a fait part de
ce problème à Lynch, qui m'a proposé
de venir loger dans un bâtiment sans chauffage, avec
une lézarde au plafond, au loyer gratuit, dans le
domaine de sa maison de production. Il avait même
quelques scrupules au début, il ne voulait pas trop
que je sois logé dans un bâtiment où
la pluie pouvait entrer. J'ai accepté sur le champ,
quitte à mettre trois ou quatre couvertures sur moi
la nuit !
C'était quinze jours simplement avant le départ,
et j'ai alors couru les collectivités locales pour
décrocher des bourses. L'université, la mairie
de Brest m'ont aidé. Et fin novembre 1995 je suis
parti pour Los Angeles.
L'ami de Lynch m'attendait à l'aéroport.
Lorsque je suis arrivé, je me suis rendu compte que
j'avais déjà vu cette maison dans un documentaire
consacré à Lynch , dans la série Cinéma
de notre Temps : la maison construite par le fils de Frank
Lloyd Wright. Le domaine de sa maison de production était
en fait celui de sa propre maison... "the Pink House",
comme il l'appelait lui-même ! J'étais logé
dans l'un des bâtiments de sa propriété,
appelé "Crow's Nest" parce qu'il était
situé au sommet d'Hollywood, près du Hollywood
Observatory, avec vue imprenable sur Downtown et le Hollywood
Bowl.
Objectif Cinéma :
Et la première rencontre
avec Lynch ?
Roland Kermarec : C'était
le lendemain de mon arrivée. Je commençais
à écrire sur l'un de mes nombreux cahiers,
dans le hall de la maison de production, quand j'ai vu débarquer
un géant aux cheveux hirsutes, accompagné
de son fils. Il m'a tapoté l'épaule et m'a
souhaité la bienvenue de manière amicale et
chaleureuse.
Je suis arrivé une semaine environ
avant le début du tournage, à la fin novembre.
Deux ou trois jours après mon arrivée, c'était
la ThanksGiving et les Lynch m'ont invité à
partager le repas avec leurs amis. C'est à cette
occasion que Lynch , pour plaisanter, m'a présenté
à un autre de ses invités comme "his
secret son" ! Cela reste un très grand souvenir,
il n'y avait pas encore la pression du tournage, mais une
détente extrême... Nous sommes restés
papoter sur sa terrasse jusque tard dans la soirée,
avec notamment Bob Engels, scénariste de Twin Peaks.