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  Lost Highway (c) D.R.
Objectif Cinéma : David Lynch met très souvent de la musique pendant le tournage des séquences ?

Roland Kermarec : Il en met pour l'ambiance des scènes, sans que le son direct ne soit pour autant conservé après... Lorsqu'il voyait qu'à certains moments de la journée l'équipe commençait à faiblir, il mettait automatiquement le morceau de Rammstein. On a dû l'entendre au moins 500 fois, sans exagérer, pendant la totalité du tournage ! Ce morceau est pour moi vraiment lié à tout jamais à Lost Highway ! Et c'était amusant de voir comment l'équipe gagnait en puissance à écouter ce morceau !
Lors du tournage de la poursuite dans le parc, très tôt le matin, il faisait assez froid, David a demandé à ce qu'on mette la musique, il s'est rapproché des haut-parleurs comme s'il s'agissait de grandes cheminées et s'est frotté les mains avec une mine réjouie! C'est dire si cette musique était revivifiante !


Objectif Cinéma : Est-ce qu'il écoute certaines musiques en aparté ?

Roland Kermarec : On lui renvoie le son des dialogues en direct pendant le tournage dans ses écouteurs et, simultanément, sur une autre bande, on lui envoie en surimpression sonore d'autres morceaux de musique quand il ne sont pas mis directement sur le plateau. Pour la scène de la prison, ce travelling qui accompagne les gardes donnant à manger aux prisonniers et qui a finalement été coupé au montage, il a utilisé le morceau de jazz qu'il avait composé avec Angelo Badalamenti en le diffusant sur le plateau au ralenti, ce qui donnait des sons extrêmement graves qui résonnaient dans le bâtiment. Ce morceau était plus utilisé comme une ambiance qu'en tant que musique à part entière. Cette séquence a été tournée exceptionnellement dans un décor reconstitué dans une ancienne caserne de pompiers. Lynch ne souhaitait pas une prison réaliste même s'il avait une vision très précise de ce qu'il voulait.



  Lost Highway (c) D.R.
Objectif Cinéma : Est-ce qu'il y a de nombreuses autres scènes auxquelles tu a assistées mais qui ne figurent pas dans le montage définitif ?

Roland Kermarec : Oui, un grand nombre, notamment avec les deux filles Marianne et Raquel. Il existe une scène dans un magasin de lingerie sur Hollywood Boulevard mais qui n'était pas essentielle pour l'histoire et ne mettait pas en scène les personnages principaux. Il y a eu aussi des scènes coupées avec Balthazar Getty, lorsqu'il arrivait dans un lieu peuplé de choppers, ces voitures utilisées par les Mexicains pour draguer. A un moment, David, sur un ton particulièrement enjoué et détendu (lui d'ordinaire si concentré sur le plateau) m'a montré un homme avec un tuyau rouge qu'il tenait à bout de bras en me demandant à quel film ça me faisait penser. C'était une allusion à une scène de Mon Oncle de Jacques Tati où on voit aussi un homme passer dans le fond d'un plan avec un tuyau rouge. Déjà, dans Sailor et Lula, on voit un personnage en arrière-plan avec un tuyau rouge. Mais la scène de l'homme au tuyau rouge de Lost Highway a été malheureusement coupée !
Il y a eu aussi la scène du procès, intégralement tournée, dont il ne reste dans le montage définitif que le verdict de la cour en off, lorsqu'on voit la descente des escaliers de Fred Madison accompagné de deux gardiens. La scène d'autopsie de Renée a été supprimée aussi. J'avais l'impression que David ne voulait tourner cette scène que pour un plan : il ne s'est quasiment pas occupé des trois comédiens présents, il est resté une heure à peaufiner un trou au sol pour l'écoulement des substances corporelles, en prenant bien soin de disposer des mégots, un peu de sang, de l'eau, des cheveux et des saletés diverses...Le but de la scène était de montrer l'arrivée du chirurgien qui devait procéder à l'autopsie, accompagné de sa petite amie, habillés tous deux en tenues de soirée. Ce qui donnait un contraste saisissant. Cette scène n'apportait pas grand chose non plus, d'autant plus qu'on se demande en voyant le film si Renée est véritablement morte ou si le meurtre et tout ce qui s'en suit sont une pure création de l'esprit de Fred Madison (d'autant plus qu'elle réapparaît à la fin du film). Comme cette scène n'était pas montrée du point de vue de Fred Madison, cela risquait d'aller à l'encontre de cette confusion volontaire entre la personnalité schizophrène de Madison et la réalité concrète. Voir cette scène à l'écran pouvait signifier que la mort de Renée était réelle.