Objectif
Cinéma : A ce
propos, les décors dans Happiness et Storytelling
sont très similaires à ceux des sitcoms, tout
comme la musique sirupeuse, mielleuse. Naît alors un
décalage entre ce vernis et le vide des personnages...
Todd Solondz : C'est
vrai pour Happiness et pour la deuxième partie
de Storytelling. La musique ressemble à ce
qu'on peut entendre dans les feuilletons, même s'il
n'y a pas de rires enregistrés. Je n'indique pas
aux gens quand il faut rire ou ne pas rire. Ces deux films
sont des comédies très tristes, peut-être
même douloureuses. Il y a une certaine gravité
morale dans ce que je fais. Mais parce que je ne dis pas
aux gens ce qu'ils doivent ressentir ou penser, ce qui est
bon ou mauvais, certaines personnes m'accusent d'immoralité,
de condescendance de cruauté, lorsque d'autres ne
perçoivent que le côté comique et pas
les implications sérieuses. C'est pour cette raison
que je dis que mes films sont faits pour tout le monde :
au sens où ils sont sérieux, moralement parlant.
C'est le prix à payer quand, comme moi, on ne réalise
pas de " films-pancartes " où
tout est explicite.
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Objectif Cinéma :
Storytelling est divisé
en deux parties, intitulées Fiction et Nonfiction.
Dans la première, il est question de gens qui participent
à un atelier d'écriture de nouvelles et qui
en fait écrivent sur des choses qui leur sont arrivées
dans la réalité. Dans la seconde, vous mettez
en abyme un documentaire, finalement très fictionnel
à certains égards, notamment par son montage.
La frontière entre réalité et fiction
est donc très mince, et il semble que vous aimiez
la pervertir.
Todd Solondz : La
fiction et la non-fiction sont des techniques narratives.
La fiction est souvent liée à l'imagination
et la non-fiction à des éléments purement
factuels. Ce sont deux méthodes différentes
pour parvenir à certaines vérités et
c'est le talent du narrateur qui détermine leurs
degrés de succès. Dans Fiction, on
voit le professeur de littérature faire l'amour avec
son étudiante et ce n'est qu'après qu'on entend
sa version à elle de l'histoire. Peu de gens se rendent
compte du fait que l'histoire qu'elle raconte diffère
de ce qui s'est réellement passé. On peut
avoir le sentiment qu'il y a adéquation mais ce n'est
pas le cas, et c'est pour cette raison qu'il y a cette discussion
dans la classe concernant le viol ou l'absence de viol.
Bien sûr elle n'est en aucun cas victime d'une agression
sexuelle puisqu'elle a une attitude provocante, et qu'elle
se met dans une situation bien plus délicate que
ce qu'elle avait prévu. Il ne s'agit nullement d'un
stéréotype de ce genre de fait divers horribles.
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Objectif Cinéma :
Il y a une sorte de parallèle
entre le documentariste de Nonfiction et vous-même,
puisqu'il affirme aimer ses personnages, même s'il
se moque d'eux.
Todd Solondz : Il
y a deux éléments qui en fait commentent sur
la façon avec laquelle mes films ont été
accueillis jusque-là : le rapport entre la documentariste
et la monteuse dans Nonfiction et le débat
dans l'atelier d'écriture dans Fiction. On
peut interpréter ces scènes comme des méta-commentaires,
autrement dit comme des commentaires sur la façon
dont on a commenté mes films. Sont-ils cruels ?
Sont-ils méprisants ou respectent-ils l'intégrité
des personnages ? Sont-ils immoraux ou non ? Comme
je l'ai dit, je ne mets pas des pancartes partout, et donc
j'installe un certain degré de confusion qui donne
une certaine complexité à mes films. Je préfère
laisser parler l'uvre plutôt que répondre
de manière directe...