Objectif Cinéma : On
a également le sentiment que vous adoptez une sorte
de neutralité anti-moraliste. Dans Fiction,
le jeune handicapé écrit une nouvelle et tout
le monde le félicite, simplement pour ne pas blesser
un garçon qui porte déjà son fardeau.
Seul le professeur est honnête et donne un jugement
objectif. Vous semblez condamner pareillement ces deux attitudes
extrêmes.
Todd Solondz : Ce
personnage est handicapé mais ce n'est pas ce qui
le définit essentiellement. Si on ne voit que cela
en lui, on tombe dans la pitié, on sentimentalise
le rapport qu'on a avec lui, sans lui reconnaître
son droit à l'intégrité. Il vaut mieux
lui dire la vérité sur ses possibilités
en tant qu'écrivain car ce n'est parce qu'on est
handicapé qu'on est forcément un grand auteur.
En vérité, il n'a aucun talent, et sa souffrance
ne le rend ni plus humain ni moins humain. Quelque part
il s'exploite lui-même, il cherche à faire
de sa souffrance une arme qui lui donnerait un supplément
de valeur. C'est une question de dignité, et la dignité
est un problème très présent dans la
première partie du film. Lorsque les autres écrivains
en herbe le complimentent sur sa nouvelle, ils ne respectent
pas sa dignité, au contraire du professeur qui, même
s'il s'adresse à lui d'une façon particulièrement
abrupte, fait preuve de sincérité. Cette question
de la dignité revient dans le petit manège
entre le professeur et l'étudiante, car dans cette
affaire, l'un des deux doit la perdre. La fille n'est pas
aussi sophistiquée qu'elle prétend l'être,
et la question qui se pose alors dans son rapport avec le
professeur est : qui exploite qui ?
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Objectif Cinéma : Quand
on regarde Storytelling, on ne ressent aucune compassion
pour les personnages, pas même pour la malheureuse
employée maison. C'était différent
dans Happiness.
Todd Solondz : Si
vous considérez le personnage de Scooby, au début
du film il n'est qu'une sorte de coquille bourrée
de préjugés, d'idées vides, un trou
noir moral. Quand à la fin du film il voit sa propre
vie sur l'écran, on a cet espèce de moment
d'épiphanie où il se rend compte que son existence
sonne creux, et il est clair que cette scène est
empreinte de compassion. De même, je ne peux évidemment
pas cautionner les actes de Consuelo à la fin du
film, mais je peux comprendre ce type de réaction.
La question se pose également avec Mickey, ce petit
démon qui est en quelque sorte victime du vide moral
ambiant et véhicule un certain nombre de valeurs
contemporaines négatives. Cependant, il est le seul
à reconnaître Consuelo en tant que personne
et donc à lui parler, même si ses mots sont
autant de coups de poignard et qu'il n'a pas conscience
de sa propre cruauté.
Objectif Cinéma :
Le produit d'une société
malade ?
Todd Solondz : Je
n'aime pas les grands mots, mais je dirais simplement que
dans une autre famille, il ne serait pas devenu ce petit
être diabolique.