L'ART DU RECIT
J'aime beaucoup les histoires au cinéma :
je sais que c'est un " péché ",
mais j'aime beaucoup la narration. Je déteste les
gens qui prennent la narration comme prétexte pur
à faire de la mise en scène formelle et qui
ne s'intéressent pas à l'histoire qu'ils racontent,
à l'art du récit. Alors que j'aime vraiment
ça. Je trouve même que le minimum, c'est d'une
part de s'intéresser à l'histoire qu'on raconte,
d'autre part, à la façon dont on la raconte.
Le point commun entre un roman et le cinéma, c'est
le déroulement dans le temps. Ce n'est pas de la
pure image instantanée. Les histoires se déroulent
dans le temps et les films aussi. C'est là que s'opèrent
les transformations des personnages.
CONTRASTES
Pour Amour d'enfance, là
où j'ai commencé à vraiment m'y retrouver
humainement, c'est quand j'ai compris que le personnage
à la fois aimait sa famille et ne la supportait pas.
Quand j'ai accepté que ces deux vérités
coexistent ensemble, j'ai commencé alors à
trouver que le film avait un intérêt, parce
qu'il avait un nud, quelque chose d'insoluble, qui
pouvait en plus se développer dans le temps. On pouvait
aller d'un sentiment à l'autre, d'un sentiment d'amour
à un sentiment de rejet. Et les deux étaient
vrais en même temps. C'est un sentiment que les gens
peuvent, je crois, partager.
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Le contraste, par essence, crée
du relief. Dans la mesure où l'histoire était
cruelle, à pleurer, je n'aurais pas aimé que
le film le soit. D'abord par pudeur, puis par souci de l'observation
et de fidélité à la réalité.
Les gens donnent toujours le change dans la réalité.
Ce qui signe pour moi l'impression d'une réalité
épaisse, c'est quand tout est mélangé,
quand on ne sait pas sur quel pied danser. À moi
aussi de le montrer clairement. Il ne s'agit pas d'être
dans quelque chose de confus, de fumeux, d'impressionniste.
Je dois montrer quelque chose, comme une incongruité,
une incertitude, de l'inattendu, quelque chose qui tremble
un peu mais je ne dois pas trembler moi-même.
LA MAÎTRISE ET LA SPONTANEITE
Je me suis rendu compte que j'aimais beaucoup
les réalisateurs qui ont le front, l'aplomb, de maîtriser
ce qu'ils font. Et en même temps, j'aime ceux chez
qui cette maîtrise ne sert qu'à créer
une espèce d'inattendu, de surprise. La maîtrise
pour la maîtrise, c'est d'une tristesse
C'est
triste comme le porno, de la belle mécanique !
J'aime beaucoup cette phrase d'Ozu, je ne sais pas si elle
est authentique mais peu importe : Ozu était
au service des armées au Japon pendant la guerre,
il avait vu les films américains " ennemis "
bien avant les autres Japonais, notamment Citizen Kane,
dont il disait " c'est vraiment très bien
mais ça manque un peu de spontanéité ".