Objectif Cinéma : Le
fait que Philippe Garrel pose comme postulat de base pour
ses films de se représenter à l'écran,
ne t-a-t-il pas dérangé ?
Mehdi Belhaj Kacem : Comme
me le faisait remarquer Raoul Coutard, le chef opérateur,
je suis souvent filmé de dos, je passe sur les allusions
grivoises qu'il y avait à ce sujet d'ailleurs sur
le plateau. L'affiche du film symptomatise d'ailleurs cette
volonté de représentation de Philippe. C'est
un peu ce qu'a apporté la nouvelle vague : accentuer,
insister sur le rapport du réalisateur à l'actrice,
avant tout.
La question de la communication de Philippe avec les acteurs
est intéressante. Quand il dit, dans des entretiens,
qu'il ne souhaite pas connaître les acteurs, il y
a là tout un pan du travail de Philippe.
Objectif Cinéma :
Julia, peux-tu nous parler de ton
expérience au conservatoire, où Philippe Garrel
dirige une classe " cinéma " ?
Julia Faure : Il
filmait déjà les hommes de dos à l'époque
(rires)
On allait voir des rushes dans la cave, on
remontait, et on filmait une scène en vitesse au
coin de la rue. L'enseignement n'avait rien à voir
avec ce qui pouvait se pratiquer au sein même du conservatoire ;
un climat de confiance régnait, et Philippe ne cherchait
pas à nous enseigner quoique ce soit. C'était
un climat particulier, mais qui me convenait parfaitement.
Objectif Cinéma : Avant
le tournage, quel était votre rapport avec le cinéma
de Philippe Garrel ?
Mehdi Belhaj Kacem : Cela
situe tout de suite quelqu'un. Les réactions des
uns par rapport aux autres quand j'allais voir ses films
avec des amis, étaient significatives : rejet
ou admiration. Ses films entretiennent les discussions
Un
ami a coutume de dire : la France parle aux français,
Garrel parle aux Garelliens
c'est vrai qu'il y a un
côté chez Philippe qui en dit long sur les
symptômes actuels et les caractéristiques de
son cinéma : il préfère le film
à tous les acteurs, et le côté artistique
à la technique, qu'il oppose clairement, mais si
un choix devait apparaître, il se préfèrera
au film une fois fini
Pour jouer mon rôle, j'étais dans une position
où je me retrouvais parfois seul avec Philippe, contre
toute l'équipe technique dans le rôle du réalisateur,
mais aussi en légère confrontation avec lui
sur des scènes à rejouer ou non : j'étais
aussi devenu réalisateur
On retrouve cela dans Elle a passé tant d'heure
sous les sunlights
, qui était apparemment
un tournage assez névrotique aussi bien au niveau
de sa production que sur les conditions de tournage.
Objectif Cinéma : Le
fait que Philippe Garrel ne fasse qu'une seule prise ne
vous obligeait-il pas néanmoins à vous reposer
sur l'équipe technique ?
Julia Faure : J'ai
l'impression qu'on a posé beaucoup de difficultés
à l'équipe technique, même si j'étais
déjà habituée à la prise unique
depuis le conservatoire.
Objectif Cinéma : Il
pensait déjà à toi à cette époque
pour le rôle de Lucie ?
Julia Faure : Il
m'a parlé du rôle à la fin de cette
année de conservatoire. Dès le départ,
Philippe m'a vu comme Lucie et cela n'a cessé de
s'imposer au fil de cette année de préparation
et de lecture. Plus le rôle grandissait en moi, et
plus je restais figée dans le personnage de Lucie :
c'est à dire exactement comme Philippe m'avait vu
quand il a réalisé que je deviendrais son
actrice pour Sauvage Innocence, comme s'il avait
pris une photographie de moi à un moment et un endroit
précis de son existence et de la mienne.