Objectif Cinéma
: A quel moment du projet
avez-vous pris conscience de sa puissance de devenir ?
Gilles Ciment :
Il y a eu de nombreux ralentissements. Au début du
tournage, lors des essais de jeunes comédiens amateurs,
il manquait surtout quelqu'un de fort. La décision
de HHH d'embaucher Shu Qi a été un tournant.
Avec uniquement des comédiens amateurs, il aurait
tâtonné longtemps. Il y avait bien déjà
Jack Kao, qui est moitié amateur moitié professionnel
: il ne tourne qu'avec Hou et a des activités annexes
dans la vie, par ailleurs pas très éloignées
de celles qu'il a dans le film (je veux parler des bars
et clubs)... En visionnant ses rushes, HHH eut l'idée
de donner de la chair à l'existence assez vide de
cette jeunesse vivant la nuit en la faisant narrer en voix
off par son héroïne, dix ans après. Et
toute l'écriture, avec cette narration décalée,
s'est faite au montage. HHH et son monteur, que tous appellent
Mr Liao, ont obtenu une première version convaincante,
qui fut sélectionnée par le Festival de Cannes,
mais qui méritait quelques améliorations.
Les retouches faites dans l'urgence avant le festival ne
s'avérant pas être celles escomptées,
Hou s'est rendu compte au mixage qu'il avait dénaturé
son film. Il l'a remonté, pour arriver à la
version qui devait être présentée à
Cannes, et que nous devions étalonner à Paris,
alors que le festival était déjà commencé
sur la Côte d'Azur. Au laboratoire Eclair, en voyant
pour la première fois son film achevé en 35
mm, il s'est tourné vers nous : " il faut couper
vingt minutes ". Il était bien sûr trop
tard.
Lorsqu'on travaille avec une matière comme ça,
avec un film qui s'écrit au tournage et au montage,
il est difficile de produire depuis Paris et dans la précipitation
pré-cannoise...
Objectif Cinéma
: En quoi cette version différait-elle
de la version finale ?
Gilles Ciment
: On l'a présenté imparfait à Cannes,
mais il a plutôt été très bien
accueilli par la presse française. C'est la presse
étrangère et les acheteurs qui n'ont pas apprécié
Millennium Mambo, il est vrai projeté à la
fin du festival, quand tout le monde est très fatigué.
Après Cannes, on avait quelques mois pour travailler
sereinement. La version cannoise a donc en effet été
amputée de vingt minutes, mais aussi allongée
de cinq minutes, correspondant à des plans magnifiques
qui faisaient partie du tout premier montage. Le film est
donc plus court de quinze minutes dans la version qui est
sortie en salles. En dehors de la durée, la structure
a aussi changé, accentuant les effets de déformation
du souvenir avec le temps. La version finale nous satisfait
tous pleinement, cinéaste et producteurs.
Objectif Cinéma
: Plaît-elle davantage
aux acheteurs ?
Gilles Ciment :
Le film reste assez expérimental et ne fonctionne
qu'ici, auprès d'une presse et d'un public très
ouverts à un cinéma d'auteur parfois très
éloigné de notre culture.
Objectif Cinéma
: Comment expliquez-vous
cette difficulté à exporter le film ?
Gilles Ciment :
Une sélection à Cannes en compétition
ne suffit pas. Il faut savoir que Hou Hsiao-hsien a une
carrière internationale quasiment inexistante. De
très nombreux pays européens n'ont jamais
sorti un seul de ses films. En Italie, alors que HHH a quand
même déjà eu un Lion d'or à Venise,
Millennium Mambo sera le premier de ses films à être
distribué... Amedeo Pagani, producteur et distributeur
de grand talent, organisera d'ailleurs à Rome une
rétrospective de tous les autres films de HHH à
l'occasion de la sortie de Millennium Mambo. Cela vous donne
une idée de l'ampleur du travail ! Les acheteurs
sont des acheteurs. Ils ne sont pas programmateurs de festivals
: ils ont des exigences de rentabilité, ce qui est
normal. Cannes est réputé pour être
un festival cinéphilique : c'est souvent une vitrine
pour d'autres festivals venus à la pêche au
film... Mais les ventes portent sur des films plus facilement
commercialisables. Surtout qu'en fin de festival, de nombreux
acheteurs ont déjà rempli leur panier