Annuaire boutique
Librairie Lis-Voir
PriceMinister
Amazon
Fnac

     


 

 

 

 

 
Objectif Cinéma : Tu as toujours ta machine ?

Alain Guiraudie : Non, c'est ma mère qui l'a récupérée. J'ai écrit surtout des romans, j'avais quitté la fac et pour vivre, j'ai bossé dans une pizzeria, j'ai été pion au collège, plongeur et j'ai fait pas mal d'autres jobs. Au bout de six mois, j'ai relu ce que j'avais écrit et je me suis dit : " C'est vraiment une belle merde ce que tu as fait là ".


Alain Giraudie (c) Julien Oberlander

Objectif Cinéma : Tu as gardé ces écrits ou les as-tu jetés ?

Alain Guiraudie : C'est marrant, mais je les ai tous gardés, même les projets de scénario inaboutis. À l'époque, je voulais à tout prix écrire un roman. Je voulais être écrivain, acquérir un statut social. J'ai tout mis à plat, j'ai arrêté mes conneries en me disant que j'allais devenir meilleur écrivain que Proust et Dostoïevski ! J'ai écrit quelque chose sans savoir si c'était un roman, une pièce de théâtre ou un scénario, mais j'ai continué et je l'ai réalisé. J'avais 26 ans, c'est assez tard pour un premier film…


Objectif Cinéma : Pourquoi ce sentiment de retard ?

Alain Guiraudie : C'était vraiment mon premier tournage, je n'avais jamais fait de vidéo ni de super 8, alors que je fais partie d'une génération qui avait un accès facile aux différents supports. Je souffre d'un gros complexe par rapport à la littérature. Je continue toujours d'écrire, j'ai même essayé de faire éditer tous mes romans pendant six mois avant d'arrêter. C'est assez malheureux à vivre : je suis très content de moi quand je viens d'en écrire un, et deux mois après je trouve ça nul…. Mais ça ressurgit toujours sous la forme d'un scénario, par conséquent, ce n'est pas forcément quelque chose de négatif, seulement une incapacité à créer et finir seul une œuvre aboutie. Le scénario, c'est autre chose et j'aime ça. Il doit être présentable, bien écrit, agréable à lire, précis, c'est un outil et une base de départ pour un travail à faire. Avant de faire mon premier court-métrage, j'ai tenté le concours de l'école de cinéma de Bruxelles l'INSAS. Je l'ai raté, et ça m'a pas mal contrarié, mais finalement… J'ai fait mon premier court Les héros sont immortels (1990) et j'ai beaucoup appris en le faisant. J'aurais gagné énormément de temps pour me constituer un carnet d'adresses en faisant une école de cinéma comme la FEMIS, car en étant veilleur de nuit à l'université de Toulouse, je ne pouvais pas aller très loin ! J'ai tourné mon court-métrage pendant mes semaines de congés salariaux, j'ai obtenu l'aide du GREC (Groupement de Recherche d'Essais Cinématographiques) et 35 000 francs, une somme importante pour moi, qui représentait la moitié d'une année de salaire ! C'était en 16mm. Je tiens d'ailleurs à la pellicule cinéma, j'aime cette prise de risques, qui t'oblige à très bien préparer ton tournage, à faire gaffe à chaque prise. Le matériel était évidemment loué, j'avais reçu aussi 18 000 francs de la Région Midi-Pyrénées, 4 000 francs de Blagnac, une ville proche de Toulouse où il y avait un atelier audiovisuel, et un emprunt personnel que j'ai pu rembourser. Je suis arrivé à un budget de 60 000 francs.

  Alain Giraudie (c) Julien Oberlander

Objectif Cinéma : Et les acteurs ? C'étaient des amis qui venaient jouer bénévolement pour toi ?

Alain Guiraudie : Eh bien non, pas vraiment, sauf une copine qui a fait la cuisine sur le tournage. C'étaient des gens que je rencontrais. Je suis parti chercher des techniciens en essayant de les convaincre de bosser avec moi. Ils ne me connaissaient pas, mais dans la profession, on joue en général assez bien le jeu, et les mecs ont fait le film de bonne grâce, gratuitement.


Objectif Cinéma : Et la diffusion ?

Alain Guiraudie : Il n'a pas été diffusé du tout.


Objectif Cinéma : Tu n'avais pas hélas ce fameux carnet d'adresses…

Alain Guiraudie : Je l'ai présenté à des festivals qui ne l'ont pas vu… Sur le coup, cela t'énerve vraiment, surtout quand tu es bien isolé dans ton coin. On se dit : " Si ça se trouve, tu n'es pas fait pour ça, tu es complètement à côté de la plaque ". Je flippais. Mais dans ces cas-là, il y a toujours deux ou trois allumés qui viennent te dire que ton film est vachement bien, et ça te regonfle ! Pierre Merejkowski était l'un de ces allumés qui aimaient mon film. On venait juste de se rencontrer.