Objectif Cinéma :
Cela n’a pas posé de problèmes ?
Iian Nguyên :
Ca a posé bon nombre de problèmes
particuliers… (rires) On a longtemps eu en France
une idée reçue selon laquelle les Japonais voulaient envahir
nos écrans avec leurs productions télévisées, alors qu’ils
s’en moquaient éperdument. Ce n’est que très récemment qu’ils
ont découvert, du reste avec une très grande surprise, un
destin inattendu en dehors de leur frontière de séries produites
exclusivement pour le japon. Cette situation est à l’origine
d’une double mésentente, tant par la vision que l’on a eu
de ses séries en France, vision largement biaisée, que par
la perception qui se développe désormais au Japon sur la
réception de ces séries à l’étranger. La déformation est
à double sens. Résultat : il est toujours plus difficile
de s’entendre, et notamment avec les Japonais.
Il arrive pour certaines
productions que les Japonais aient en tête le marché étranger
mais cela reste rare. Ils ne sont pas dans une dynamique
d’ouverture. Il faut aller vers eux, les convaincre. Ils
ont tendance à vouloir simplifier le problème que constitue
pour eux l’exploitation à l’étranger. Ces films et séries,
comme c’est d’ailleurs le cas pour la bande dessinée, sont
produits pour le Japon, sont un succès ou non au Japon,
se remboursent et, lorsqu’ils sont bénéficiaires, rapportent
de l’argent au Japon. Vouloir exploiter ces films à l’étranger
demeure très difficile, car pour chaque pays, c’est devoir
se frotter à une situation différente, et affronter d’innombrables
problèmes de droits et de législation, pour une exploitation
qui sera risible en comparaison. Des manga vendus
parfois à des millions d’exemplaires au Japon se vendent
ainsi à quelque 10000 exemplaires en France…
L’une des tendances
récentes au Japon est de céder les droits d’exploitation
mondiaux à un partenaire unique, en général américain. Les
Japonais préfèrent n’avoir qu’un seul interlocuteur, quitte
à ce que ce dernier cède ensuite à son tour les droits en
question de façon nationale. C’est l’une des raisons pour
lesquelles nous n’avons pas réussi à avoir certains films
cette année, les Japonais étant en cours de négociation
avec des compagnies américaines. De toute façon, étant
donné la densité du planning des projections cette année,
nous aurions eu du mal à faire entrer d’autres films dans
la grille…
Objectif Cinéma : La
distribution, comme dans le cinéma dit « traditionnel »,
pose elle aussi problème…
Iian Nguyên :
La distribution en France pour
le film d’animation est encore sujette à un cadre et à des
modalités extrêmement restreints. Les distributeurs sont encore
dans la conscience d’un registre exclusivement réservé à un
public enfantin. De leur point de vue, tout ce qui sort de
ce modèle en creux a peu de chance de trouver grâce, non pas
aux yeux de la critique, qui a sensiblement révisé son opinion,
mais aux yeux du public. Aujourd’hui, y compris dans la production
japonaise, on a vu en France des films obtenir un bon accueil
critique, mais le public ne se résout pas pour autant à aller
les voir.
Objectif Cinéma : Pensez-vous
que l’animation pâtisse encore de la norme établie par Tezuka Osamu
; que des préjugés subsistent malgré le succès de films comme
Princesse Mononoke ou Jinroh ?
Iian Nguyên :
Les choses sont moins simples
que l’on peut vouloir les voir. C’est beaucoup plus facile
de se dire qu’on a raison d’être dans une perception où la
médiocrité l’emporterait. Bien sûr, une partie de cette production
existe et pose d’innombrables problèmes, il ne s’agit pas
de revenir là-dessus ni de prétendre le contraire, mais il
importe de dire qu’il existe des films dont un étiquetage
de ce type ne peut rendre compte. Le problème n’est pas de
chercher ce qui pourrait décrire l’ensemble de ces films
et séries, mais bien de poser des jalons, de dégager de façon
positive les étapes et les œuvres qui le méritent, pour peu
que l'on prête un peu plus d'attention à cette production.
Objectif Cinéma : L’approche
critique des films d’animation relève souvent de la simple
analyse thématique : comment, selon vous, pourrait-on
éduquer public et critique ?
Iian Nguyên :
C’est la vraie question que
pose ce cinéma aujourd’hui.
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