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Objectif Cinéma : Vous écrivez notamment dans votre texte d’ouverture du catalogue que la spécificité de l’animation est dans l’étude du mouvement ; ce n’est pas un critère propre à la culture occidentale…

Iian Nguyên
 : C’est surtout la seule manière qui m’apparaisse à ce jour de considérer ce qui fait la spécificité de ce cinéma, du moins dans l’approche qu’on en a par rapport au cinéma en général. L’opinion réduit souvent le cinéma d’animation à un “à-côté” du cinéma dit “en prise de vue réelle”, alors qu’en réalité, ce rapport doit être inversé, ainsi qu’a pu le théoriser un réalisateur tel Alexandre Alexeïeff (auquel sera rendu hommage dans les tout prochains jours au Forum des images, dans le cadre des rendez-vous de l’animation). Ce géant de l’animation est, je crois, l’un des premiers à avoir situé les choses dans un rapport différent : à ses yeux le cinéma en prise de vue réelle constitue une catégorie du cinéma d’animation, et la moins chère, la plus facile à réaliser, la moins créative. Dans les faits, l’histoire du cinéma d’animation et de son principe est antérieure à celle du cinéma traditionnel. Il existait des dispositifs recréant l’illusion du mouvement, en se basant sur le phénomène de la permanence rétinienne, avant le cinéma des frères Lumière. Et même si on s’en tient à une définition plus restrictive du cinéma en tant que spectacle se présentant sous forme de séances publiques, il est bien connu qu’Emile Reynaud présentait déjà des spectacles de pantomimes lumineuses au musée Grévin en 1892. Bref, le rapport est faussé. On a par ailleurs tendance à marginaliser le cinéma d’animation, car il est éminemment délicat à saisir dans sa forme même, beaucoup plus que le cinéma en prise de vue réelle.
Je crois que la seule voie pour essayer d’avoir un peu plus de prises sur cette forme est de passer par une meilleure connaissance de sa technique car, qu’il s’agisse de dessin animé, de pâte à modeler, de manipulation d’objets ou de tant d’autres techniques, le principe commun à ces formes d’animation est la recréation totale du mouvement. L’animation est en d’autres termes une forme de création totale, là où le cinéma en prise de vue réelle est en partie enregistrement, voire reproduction de la réalité.


  Kirikou et la sorcière (c) D.R.
Objectif Cinéma : C’est un peu naïf de ma part mais comment se fait-il que cette opinion ne soit pas plus répandue ?

Iian Nguyên
 : De fait, l’histoire du cinéma d’animation, comme celle d’un autre registre souvent connoté au même titre (la bande dessinée) a mené sa perception à celle d’un registre lié à un public précis, et qui par conséquent, doit se plier à un certain nombre de contraintes. Cependant, on peut suivre dans le même temps toute une histoire de créations alternatives, en marge de ce modèle dominant, qui représentent une communauté très limitée dans le monde. Ces productions, leurs créateurs et leur vision du cinéma d’animation sont loin d’être reconnus du grand public. En France, à l’exception récente de Kirikou et la sorcière, peu de gens peuvent ne serait-ce que se lancer dans la réalisation de long métrages, et le succès de ce film reste profondément lié, me semble-t-il, à sa compatibilité à un modèle de “film pour enfants”, même s’il est loin de se résumer à cela.


Objectif Cinéma : Public et critiques se focalisent le plus souvent sur les dessins animés japonais, au détriment des autres formes d’animations. Il suffit de voir l’expansion, certes récente, des magasins dédiés à la “japanimation“. Il n’est d’ailleurs pas impossible que cela soit un bien pour un mal…

Iian Nguyên
 : Sur un plan mondial le cinéma d’animation dans son ensemble se trouve marginalisé par rapport au cinéma et, dans le cadre de l’animation, la production japonaise se trouve à son tour confinée dans une sorte de ghetto... Un public, celui des passionnés de ces films et séries, s'est formé en réaction à ce phénomène, une mentalité en conséquence. Très sensible, conscient de sa spécificité, fermé sur lui-même et finalement assez peu curieux, il peut s’installer dans une routine qui se réduit parfois simplement à un mode de consommation. L’explosion de magasins “spécialisés” est à la fois le signe et l’un des éléments qui participent à la dynamique d’un tel mouvement. C’est l’une des raisons pour lesquelles il y avait un sens à organiser une manifestation de ce genre, autant que possible en dehors de ce cadre et de ses enclaves seuls.


Iian Nguyen (c) Thomas Brechignac
Objectif Cinéma : Ce qui, à mon sens, pose problème, c’est que le processus de création d’un film d’animation reste assez obscur… Pourriez-vous nous expliquer en quoi consistent les différents métiers de la création d’un film d’animation : qu’est-ce qu’un intervalliste ? un directeur-gouachage ? Un animateur-clé ?

Iian Nguyên
 : Dans le domaine du dessin animé, on est dans une technique précise, où le découpage du processus de la création et de la réalisation est parfois similaire à celui de la prise de vue réelle. On travaille tout d’abord à partir d’un scénario, puis systématiquement avec un story-board, ce qui n’est pas toujours le cas au cinéma. Le story-board est ici l’étape centrale, étape qui fait partie du travail du metteur en scène à qui il incombe de créer un temps, le cinéma dans son essence étant la création d’un espace, et la création d’un temps. Ensuite sur la base de ce story-board, on va passer à une phase purement graphique, le lay-out. Sur la base du découpage graphique que constitue le story-board, on agrandit chacune de ses images, scène par scène (et en multipliant les images si le mouvement est complexe), de façon à assurer le positionnement des personnages les uns par rapport aux autres, ainsi que le positionnement des objets dans l’espace. Ce document qui est à la taille à laquelle travaillent ensuite les différents participants des étapes suivantes ; c’est à partir de cette phase que se séparent ce qui sera ensuite dessiné sur cellulo, donc uniquement les parties mobiles, et ce qui représentera le décor.