Objectif Cinéma :
Qu’est-ce que le cellulo exactement ?
Iian Nguyên :
Le celluloïd est cette feuille de plastique
qui a révolutionné, a rendu possible le développement d’une
production d’un dessin animé, du fait que les animateurs n’étaient
plus obligés de dessiner à chaque phase du mouvement l’intégralité
de ce qui apparaît à l’image.
Objectif Cinéma : De
dissocier le décor du mouvement qui va être fait dans ce décor…
Iian Nguyên :
Oui. On peut aussi créer des animations
de décors, comme pour les scènes de vol en vue subjective
dans les films de Miyazaki : ce sont des plans très difficiles
à animer. Mais d’une façon générale, le décor est appelé à
l’immobilité. Avants plans, arrières plans et décors sont
conçus par des personnes différentes, et le lay-out
sert à conserver une homogénéité, une superposition impeccable
entre les uns et les autres.
Le travail du mouvement est mené par des
animateurs qui, au Japon, sont régis par une hiérarchie à
deux niveaux, contrairement aux Etats-Unis ou en France où
le système est beaucoup plus nivelé, et à certains égards
plus taylorisé. Au Japon, l’animateur clé se charge du lay-out
et crée l’ensemble des poses décisives du mouvement. Il crée
le timing, décide du nombre d’étapes à ajouter entre
chacun de ses dessins, et fixe ainsi dans le détail l’aspect
temporel du mouvement. Ce travail achevé est par la suite
transmis aux intervallistes qui comme leur nom l’indique,
comblent les intervalles, et animent autant de phases intermédiaires
qu’il leur a été indiqué. Mais avant les intervalles, un poste
qui au Japon s’est développé de façon particulière est celui
du directeur d’animation. Ce poste joue un rôle central dans
la réalisation. C’est lui qui assure l’unité graphique des
personnages, indique de manière partielle ce qui doit être
corrigé, et renvoie le tout à l’animateur clé : il s’agit
d’un poste dont on mesure souvent trop peu l’importance dans
l’efficacité japonaise.
Objectif Cinéma : Par
exemple, dans le premier épisode de Furi Kuri (sortie
prévue chez Dynamic Visions), je me souviens de mouvements
de caméra assez impressionnants, surpassant en tout point
ce que l’on peut faire avec cet outil. Comment s’insèrent-ils
dans le travail que vous décrivez ?
Iian Nguyên :
Avant l’arrivée de l’ordinateur
et la généralisation d’un recours à l’infographie, c’était
un gros problème. Il est vrai que le dessin animé doit affronter
un certain nombre de problèmes où l’on doit, de façon sous-jacente
et qui doit rester invisible, résoudre des problèmes qui sont
beaucoup plus difficiles qu’il n’y paraît. C’est beaucoup
plus facile à présent grâce à l’ordinateur. On peut obtenir
une projection calculée de ces mouvements et s’aligner dessus.
C’est le cas pour certains mouvements de caméra, comme pour
les animations de décors, les déplacements subjectifs. Il
est très difficile de recréer tout cela à la main, c’est un
travail de conception et de dessin très complexe. Il faut
être en mesure de concevoir mentalement ces mouvements pour
les recréer. Cela dépend grandement de la sensibilité de l’animateur,
car, malgré les apparences, il ne s’agit pas forcément de
viser à un photo réalisme qui consisterait en une ressemblance
totale avec la réalité. Je crois plutôt que ce qui donne du
sens au dessin animé réside dans le décalage même avec ce
que peut réaliser la prise de vue réelle : dans tout
ce qui, du point de vue du cinéma direct, pourrait relever
de l’imperfection, bien des aspects sont en fait porteurs
de sens. On peut de façon très discrète, pas du tout démonstrative,
recréer des mouvements qui sembleront réalistes, alors même
qu’un ralenti révélera des poses impossibles : le dessin
animé peut ainsi mettre en œuvre un réalisme de la sensation.
C’est aussi le cas chez Miyazaki, par exemple, avec des mouvements
invraisemblables au contraire, mais que l’on accepte totalement.
Objectif Cinéma : Comment
est traité le son dans le dessin animé, les sources sonores
n’étant jamais à l’écran ?
Iian Nguyên :
Il y a une différence importante
entre ce qui se fait au Japon et aux Etats-Unis. Les Américains
travaillent en pre-scoring : les comédiens de
doublage interprètent les personnages de façon préalable,
et l’animation est créée à partir des inflexions de leur voix,
de leur composition d’acteur, tandis qu’au Japon, tant pour
des raisons économiques qu’artistiques, on travaille en post-synchronisation :
on crée d’abord le mouvement, puis les comédiens interprètent
les dialogues en regardant défiler l’image. Pour le son, c’est
encore un travail artisanal. Ainsi, le dernier Miyazaki fait
encore appel à un bruiteur et à ses multiples paires de chaussures…
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