Objectif
Cinéma : Que pensez-vous
de films comme Avalon, qui privilégient un certain
réalisme, cultivant des liens toujours plus ténus avec le
cinéma traditionnel ?
Iian Nguyên :
Dans son histoire, le cinéma
d’animation rencontre assez tôt une ambition cinématographique.
Il s’agit ainsi non plus de faire des films d’animation pour
enfants mais bien des réalisations tangibles en tant qu’œuvres
d’art. Au Japon, cette ambition s’est développée par la suite
de façon importante, et particulièrement en rapport avec une
démarche réaliste. Mais pendant très longtemps, le cinéma
et l’animation ont été des ensembles disjoints. On allait
voir du cinéma d’animation précisément pour voir ce que le
cinéma ne pouvait proposer. Or, depuis quelques années maintenant,
on constate un rapprochement de ces deux ensembles jusqu’alors
distincts, par le biais des progrès de l’infographie, et en
particulier par l’évolution subséquente des effets spéciaux.
Les frontières deviennent sont nettement moins tranchées aujourd’hui...
Sur ce point, l’une des
raisons pour lesquelles le cinéma d’animation, et plus particulièrement
le dessin animé, s’est développé avec l’ampleur qu’on lui
connaît au Japon, réside notamment dans la possibilité de
décrire des cadres occidentaux. Au Japon, un certain nombre
de genres cinématographiques sont quasiment inaccessibles
à la prise de vue réelle, comme les reconstitutions historiques
dans des cadres non japonais, le
western, par exemple, ainsi qu’a pu le pointer Ôtsuka Yasuo
lors de son passage à Paris. Vous ne pouvez pas prendre des
acteurs japonais et tourner un western, cela ne peut
pas marcher. Par contre, en dessin animé, vous pouvez prendre
des cadres comme le Versailles de la Révolution, y installer
des personnages culturellement japonais, au sens où leurs
comportements et attitudes seront éminemment parlants pour
un public japonais, sans qui que ce soit de l’équipe de réalisation
ait jamais mis les pieds à Versailles. Le dessin animé rend
ainsi possible le fait de réaliser au Japon des westerns,
ou des films dans un registre historique précis.
Avec Avalon, Oshii
Mamoru, qui a réalisé un certain nombre de films en prises
de vue réelle parallèlement à son travail en animation, sort
complètement de cette problématique. Ici, il fait un grand
pas, avec une équipe dont une partie japonaise travaille en
aval (en particulier sur le volet infographique, l’ajout d’effets
spéciaux ou le travail de la couleur), la partie polonaise
prenant en charge tout un travail de réalisation concrète,
tel qu’on le connaît en prise de vue réelle. C’est intéressant
de regarder la liste des crédits sur ce film : on s’aperçoit
qu’un certain nombre de postes clés pour la technique sont
du côté polonais.
Objectif Cinéma : Les
thématiques de l’animation dessinent une trajectoire quasi
sociologique, en abordant aussi bien l’écologie, la solitude
engendrant des comportements violents ou bien encore la vie
après la mort et autres cyber-world. Le film d’animation
puise dans les fantasmes même des Japonais au point de constituer
un genre permettant l’extériorisation des pulsions. Je pense
notamment au très drôle Pompoko de Takahata Isao…
Iian Nguyên :
Pour ce cas précis, les thématiques
qui le sous-tendent rendent compte de ce qui fait la nature
même du film : une construction totale. Le cinéma d’animation
permet des virtualités infinies. Pompoko joue sans
arrêt de ce statut de construction totale : on y trouve
quelque chose de l’ordre de la virevolte, de l’acrobatie permanente,
que le cinéma direct, par définition, ne peut pas proposer,
ne serait-ce que la palette des métamorphoses, les différents
niveaux de transformations, qui correspondent à des paliers
aussi bien dans la représentation des émotions que dans la
narration. Il y a là un impact totalement neuf, inaccessible
à la prise de vue réelle. Là encore, le cinéma d’animation
sort en réalité du cadre restrictif du cinéma avec acteurs.
L’image qu’on a du cinéma est celle de la prise de vue directe,
mais le cinéma d’animation l’englobe et la dépasse. C’est
tellement plus large que l’on n’arrive pas forcément à bien
saisir où les choses se placent, ni comment elles se positionnent
les unes par rapport aux autres. En ce sens, un film comme
Pompoko peut s’avérer totalement déroutant pour un
spectateur non averti et qui n’aurait pas l’ouverture d’esprit
ou la curiosité suffisante. En l’occurrence ce film, et les
autres longs-métrages du studio Ghibli, sont diffusés par
Buena Vista International qui a acquis les droits de distribution
mondiale en dehors de l’Asie.
Objectif Cinéma : Une
sortie en salle est-elle prévue ?
Iian Nguyên :
Rien n’est prévu pour ce film à ma
connaissance. Je comprends que le distributeur puisse être
dérouté : Miyazaki, avec ses deux derniers films, était
sans doute déjà assez surprenant, mais Takahata l’est encore
plus. Ce film prend tellement de libertés sur le plan graphique
et narratif ! Mais de plus en plus de films d’animation
trouvent le chemin des salles françaises ces dernières années.
Une telle sortie, qui intéresserait sûrement certains distributeurs
en France, représenterait à coup sûr un pas en avant dans
la découverte aujourd’hui amorcée d’un dessin animé japonais
de qualité.
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