Objectif Cinéma :
Cela reste néanmoins difficile
pour le public et la critique de suivre un quelconque itinéraire.
Iian Nguyên :
Dans l’absolu, c’est quand même une
approche qui mérite qu’on s’y intéresse, et qui permettrait
de dégager une meilleure connaissance, plus pondérée, de ce
domaine ; à condition, bien évidemment, d’avoir accès
aux films et aux séries.
Objectif Cinéma : Pourriez
vous nous tracer quelques familles ?
Iian Nguyên :
En termes historiques, il y
a eu une grande scission, un carrefour qui se trouve au tournant
des années 1960. Le studio d’animation de Tôei, lancé en 1956,
constitue le premier grand courant fondateur. L’autre voie
est lancée par Tezuka et son studio Mushi Production au début
des années 1960. Par la suite, on peut situer dans une généalogie
la création des studios ultérieurs par rapport à ces deux
branches principales. Le studio Ghibli, par exemple, reproduit
dans le projet de ses créateurs (consciemment ou non) un certain
nombre de caractéristiques du studio de Tôei de la première
période.
Objectif Cinéma : Il
existe donc bel et bien un héritage…
Iian Nguyên :
Tout à fait. Il y a un lien
dans la forme même qu’a pris le studio. Le studio Ghibli est
une structure qui regroupe l’ensemble des étapes nécessaires
à la production d’un dessin animé. Outre la section d’animation,
on y trouve une section pour les décors, une pour le travail
de la couleur, pour la prise de vue, etc., là où la règle
générale est la fragmentation et à la multiplication de structures
plus petites, et dédiées à un travail précis. Ce regroupement
de tous les stades de la production existait à Tôei, avant
la dispersion qui suivit à quelques années près la montée
de la déferlante télévisée. Pendant un temps, Mushi Production
fut un studio comparable à celui de Tôei sur le plan des effectifs,
la différence étant que le studio de Tezuka évoluait dans
une logique purement télévisuelle, dans une production où
les contraintes et le rythme de travail conditionnaient la
production avant même la compétence des animateurs. Le succès
d’un certain nombre de ces séries leur a fait prendre une
place centrale dans la production japonaise. Plus concrètement,
des anciens de ce studio ont créé leurs propres structures,
et se sont lancés dans le sillage de Mushi ; c’est le
cas par exemple du studio Madhouse, où travaille Rintarô.
On peut ainsi faire un certain nombre de distinctions.
Objectif Cinéma : Quelles
sont les connexions entre film d’animation et jeu vidéo ?
Qui subit l’influence ?
Iian Nguyên :
Pendant longtemps, et de façon
évidente, le cinéma d’animation a influencé le jeu vidéo.
Mais depuis des années déjà le rapport s’est quelque peu inversé,
et est aujourd’hui à double sens. Le jeu vidéo influence l’animation,
notamment par un certain nombre de motifs, par un certain
type de personnages, qui aujourd’hui encore sont, pour une
bonne part, dominants dans le cinéma d’animation. Par ailleurs,
l’évolution technologique du jeu vidéo permet désormais l’intégration
de véritables séquences animées dans les jeux, ce qui a créé
un mouvement d’entraînement des professionnels du dessin animé
vers le jeu vidéo, pour une raison simple : le jeu vidéo
est un médium bien plus lucratif. On assiste à une sorte de
fuite des talents vers le jeu vidéo, ce qui donne des séquences
animées de pures prouesses techniques, quoique souvent gratuites
sur le plan narratif, et marquées souvent d’une certaine normalisation.
Des orientations pas si éloignés des partis pris infographiques
d’un film comme Metropolis, qui témoigne aussi à sa
manière d’un certain nombre de rapprochements...
Objectif Cinéma : La
nouvelle vague asiatique a-t-elle aussi une incidence sur
les films d’animation ? Y a-t-il des transfuges, ou cela
reste-t-il un ghetto ?
Iian Nguyên :
S’il y a quelque chose, c’est
de l’ordre du motif, avec souvent un fort caractère générationnel,
un certain nombre de choses qui ont suscité un rejet dans
un premier temps et qui se trouvent aujourd’hui aussi bien
au cinéma qu’en l’animation. Certaines choses sont devenues
possibles en tant que motifs à l’intérieur du cinéma en prise
de vue réelle comme de l’animation, et dans un mouvement là
aussi à double sens. Mais c’est encore plus vrai pour la production
“live” de Hong Kong qui, pour une très grande part,
est largement conditionné : c’est un bric à brac extraordinaire.
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